Chapitre 5 - Joshua

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Avant qu'elle n'intègre l'équipe, je savais que c'était une mauvaise idée. Pourtant, c'est moi qui l'aie soumise à Monsieur Jacobson. Sans binôme depuis des semaines, la charge de travail à trois est plus considérable et l'organisation bien moins efficace. Aimée a déjà ses propres tâches à effectuer, en plus de l'aide qu'elle nous apporte au quotidien, nous ne pouvons donc pas la compter dans l'effectif du service.

Alors j'ai sommé le directeur d'embaucher, pour quelques temps, une nouvelle personne. S'il m'a dit non à plusieurs reprises, la tête de mule que je suis a continué de quémander de l'aide, mais cette fois-ci, tous les jours. Ouais, je suis du genre tenace et provocateur. Si on me dit non à ma première demande, alors je recommence deux fois plus intensément.

Surtout que je n'apprécie pas notre cher gestionnaire, si je peux l'emmerder un peu, voire beaucoup, je fonce, sans me poser la moindre question. Après tout, s'il veut me virer, grand bien lui fasse, il devra embaucher deux nouveaux infirmiers. Quand on y réfléchit bien, c'est moi qui ai les cartes en mains, s'il s'étouffe en imaginant l'embauche d'un nouveau, qu'en sera-t-il avec deux ?

Je souris à cette pensée, puis me reprends dès que mes yeux se posent sur le dos de la nouvelle, en face de moi. Et dire que c'est moi qui ai proposé sa candidature... Quel crétin !

Je suis tombé par hasard sur son C.V. et sa lettre de motivation un matin, présentant des expériences assez fournies dans le monde médical, un diplôme et un concours obtenus sans difficulté.

Ça tombait à pic. Je suis donc allé voir l'un des rares hommes de cet hôpital qui m'exaspère, rien qu'en ouvrant la bouche, et je l'ai convaincu de faire un essai. Ça ne m'a pris que trois minutes... à ma vingt-deuxième demande en l'espace de dix jours.

Selon moi, c'était le moment idéal pour tester une nouvelle approche. On évite la réorganisation de tout l'hôpital en cette période estivale déjà compliquée et elle se frotte à ce monde obscur pour en connaître tous les secrets. Gagnant-gagnant !

Mais à mesure que son intégration arrivait, j'ai pris conscience de la connerie que j'avais faite. Former une nouvelle personne, redoubler de vigilance, ne pas la lâcher une seconde... Putain, comme si ce job n'était pas assez compliqué !

A la manière dont son souffle se saccade et ses mains agrippent le chariot, je vois bien qu'elle n'est pas dans son élément. Elle fait tout pour le cacher, notamment derrière ses airs de femme forte et sûre d'elle, mais elle ne trompe pas l'expérience que j'ai acquise ces derniers temps. Même si j'apprécie son ton sarcastique, je déteste les faux-semblants et il n'en faut pas plus pour me renfrogner. J'ai bien l'intention d'écorcher, sinon d'éclater, la carapace qu'elle s'est mise sur le dos.

Je passe devant elle pour la guider vers la première chambre du patient. Après quelques œillades dans sa direction, pour vérifier qu'elle ne me fasse pas une crise de panique, je contrôle par le carreau de la porte de notre première visite, que nous pouvons entrer sans crainte et sans surprise.

Avant d'aller plus loin, je décide de mettre les choses au clair, pour éviter tous faux-pas de sa part qui pourraient nous mettre dans l'embarras.

— Ne jamais tourner le dos à un patient, jamais !

Cette parole ne se veut pas rassurante, mais efficace. Et d'après son petit sursaut, je pense que c'est réussi. Je me retourne et entre dans la chambre de Jack, un patient schizophrène arrivé ici il y a plusieurs années.

Il est prostré dans un coin de la pièce, contre le mur en face de nous, non loin de son lit. Comme à son habitude, il semble perdu dans ses pensées, les yeux dans le vague, avec peu d'intérêt pour le monde qui l'entoure. C'est à peine s'il nous remarque.

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