Chapitre 1

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Mes mains tremblent dans les poches de mon manteau et, même s'il ne fait pas chaud dehors, je sais que la température n'est en rien responsable. Je déteste ça, néanmoins, je suis soulagé que ce soit désormais l'unique séquelles de mes travers. Malheureusement, cela n'empêche pas qu'il me reste beaucoup de travail à accomplir avant de laisser tout ça derrière moi.

Comme chaque vendredi depuis près de deux mois, j'hésite avant de quitter ma voiture. Cette fois, Manny n'est pas là pour me donner le coup de boost dont j'ai besoin. Je suis seul. Je pourrais en profiter et ne pas entrer dans le petit bâtiment qui me fait face, mais il a décidé que j'étais de nouveau digne de sa confiance et je n'ai aucune envie de le décevoir. Je ne l'ai déjà que trop fait ces dernières années. De plus, il est l'unique personne qu'il me reste si on omet ma mère et ma sœur. Elles aussi je les ai terriblement déçues. Je dois leur montrer que je me suis repris en main, que je suis déterminé à guérir.

Une minute de plus est nécessaire afin de prendre mon courage en main et le bip de la centralisation s'enclenche. Je suis dehors. Quelques pas sur le parking et une porte à pousser n'est pas la mer à boire. Je vais y arriver. Je dois réussir. Ma famille n'est pas la seule à m'attendre au tournant. J'ai trahi tellement de gens...

Je suis soulagé de constater qu'il n'y a pas âme qui vive aux alentours. Je ne me sens pas la force d'affronter une foule de charognards en manque de chair fraîche. J'ai déjà la trouille d'être confronté à ceux que j'appelle "mes compagnons de galère", alors ne parlons pas d'une horde de journalistes et de paparazzis.

Inspirer. Expirer.
Ce n'est pas une foule en délire qui attend que je leur offre un show dont on se souviendra longtemps.
Inspirer. Expirer.
J'y vais.

Ils sont là. Ils sont tous là.
Dix personnes, hommes et femmes.
Certains ne me regardent pas quand d'autres tentent de ne rien montrer. Pourtant, je sens bien qu'ils sont toujours très curieux de voir un type comme moi parmi eux.

Un type comme moi...

Et voilà que je recommence !

Il est vrai que je suis une personnalité publique, pour ne pas dire que je suis une star internationale - ce qui serait prétentieux tout en étant la vérité - toutefois, ici, je ne vaux rien.
Je ne suis rien de plus que tous ces gens. Parmi eux, il y en a qui sont sans doute de bien meilleures personnes que je ne le serai jamais.
Et d'ailleurs, suis-je vraiment quelqu'un ?

Je l'ai été, c'est évident. Peut-être le suis-je encore un peu puisque mes derniers déboires font toujours parler de moi, ce qui explique ma hantise de croiser des photographes à chacun de mes déplacements.
J'ai honte.
Lorsque j'en croise, je marche la tête haute, je fanfaronne comme un coq en basse-cour pour ne pas leur faire voir à quel point ce qu'ils disent de moi me touche et surtout à quel point je suis honteux de l'homme que je suis devenu.

C'est quand un raclement de gorge survient que je perds le fil de mes pensées et prends place sur la seule chaise libre.
C'est tellement... cliché, mais ma vie entière n'est-elle pas un cliché ?
Après tout, je suis le gars qui venait d'un coin de campagne paumé d'Angleterre avant de tenter sa chance dans la grande ville.
Je suis celui qui a trouvé l'amour l'été de ses seize ans et qui a vécu pendant plus de dix années la plus belle des histoires possible.
Je suis celui qui a gravi les étapes une à une et qui s'est fait un nom parmi les plus grands.
De l'adolescent que tout le monde surnommait affectueusement Eddie, je suis devenu Edward Stones, l'artiste que l'on s'arrachait, celui qui créait des émeutes à chacune de ses apparitions.
Je vivais un rêve éveillé et puis tout a changé.
Et j'en suis le seul responsable.

Je m'aperçois qu'il règne dans la pièce un silence terriblement dérangeant. Ils me fixent tous. Je ne sais pas ce qu'ils attendent comme ça, ils me foutent juste les jetons. Être le centre de leur attention me colle des frissons d'horreur. Quelle ironie quand on y pense !

— Edward, est-ce que vous voudriez nous parler de vous aujourd'hui ? propose gentiment ma "marraine".

Honnêtement, non. Pas plus que les fois précédentes en tout cas.
Qu'est-ce que je vais bien pouvoir leur dire ? Ne savent-ils pas déjà tout ?
N'ont-ils pas vu les couvertures de tous les magazines à scandales qui inondaient les kiosques à journaux ?

C'est reparti pour un tour ...

Je. Ne. Suis. Pas. Le. Centre. Du. Monde.

Les gens ne sont pas tous au courant de mes conneries. Ils n'en ont probablement rien à cirer en plus. On a tous nos petits problèmes. Cette dizaine de personnes autour de moi a elle aussi ses soucis et ils comptent autant, si ce n'est plus, que les miens.

La grande majorité a déjà parlé.
Je connais l'histoire de Miranda, cette mère célibataire qui se bat avec plusieurs petits boulots pour nourrir ses gosses et qui a fini par trouver du réconfort dans la bouteille plutôt que dans les bras d'un homme aimant.
Henry nous a conté la perte de son job, la descente aux enfers lorsqu'on n'est plus capable de payer ses factures. Il a décrit la manière dont il a noyé son chagrin dans la boisson...

Lorsque je les regarde, je me dis que ma vie idyllique, l'argent que je possède à n'en savoir que faire, l'homme qui était à mes côtés...
Tout ! J'avais tout ! Néanmoins, ça ne m'a pas empêché de sombrer et le pire dans tout ça, c'est que contrairement à eux, je n'ai même pas d'excuse valable.

Ils vont me juger, c'est sûr.

Pauvre petit Edward...

Je ferme les yeux, serre les poings et respire un grand coup pour faire taire cette petite voix dans ma tête.
Elle se moque de moi.
Elle me susurre de sortir d'ici et d'entrer dans le premier bar sur ma route pour m'enfiler des shoots jusqu'à l'ivresse.

— Edward ? s'inquiète Miranda. Vous allez bien ?

— Non, murmuré-je. Je ne vais pas bien.

— Alors parle-nous, chéri, m'encourage Amanda avec un doux sourire. On est là et on t'écoute.

Amanda... Son histoire m'a brisé le cœur lorsqu'elle l'a partagée avec nous. Si tant est qu'il en restait encore quelque chose à ce moment-là.

— D'ac... D'accord.

Mes jambes tremblent quand je me lève, cependant, il le faut. Je leur dois bien ça. Ils n'ont pas hésité, eux. Peut-être même que ça me fera du bien, qui sait ?

J'ai lu un jour une citation qui disait « Il suffit de parler pour devenir un autre.»
Je n'ai aucune idée de la manière dont je dois réellement interpréter cette phrase, je n'ai jamais eu l'âme d'un philosophe, sauf que j'ai envie -  non, besoin - de me dire qu'en acceptant de me livrer, cela fera de moi un autre homme.
Ou plus précisément cela me fera redevenir celui que j'étais avant tout ça.
Celui que William a aimé.
Celui avec qui les gens avaient envie de bosser.
Juste... Moi. Sans les strass et les paillettes.

Un coup d'œil circulaire sur les visages bienveillants et pleins d'attente qui m'entourent et je me lance d'une voix hésitante.

— Je... Je m'appelle... Je m'appelle Edward Stones. Eddie Stones. Eddie, c'est mieux. C'est comme ça que tout le monde m'appelait avant. Avant que...

Respire, mon vieux, ou tu vas leur claquer dans les pattes.

— Je m'appelle Eddie et...

Je déglutis. Je le sais, j'en suis désormais pleinement conscient, bien que j'aie longtemps refusé de l'admettre. Malgré tout, le dire à voix haute, ailleurs que devant mon miroir, m'est difficile. J'ai l'impression de sentir des gouttes de sueur couler le long de ma colonne vertébrale.

— Je m'appelle Eddie et je suis alcoolique.

La chute d'Edward Stones Où les histoires vivent. Découvrez maintenant