La chute d'Edward Stones

Chapitre 5

La colère.

Je la sens qui s'empare de moi avec une rare intensité. Elle est violente. Désormais, c'est elle qui prend le pas sur tout ce que j'ai pu ressentir en découvrant cette photo.

Il vaut mieux que je rentre à la maison, même si, au fond, je sais pertinemment que ça ne changera rien à ce que j'éprouve.

Je ne devrais pas me sentir trahi comme ça. Après tout, nous avons rompu.
Il a rompu.
Il est en droit de faire ce qui lui chante. Pourtant, je suis enragé rien qu'en regardant de nouveau le cliché en couverture du magazine. Qu'est-ce que je suis censé ressentir ?
En réalité, je n'y connais pas grand-chose en amour.
C'est vrai, Will est la première et unique personne que j'ai connue et aimée.
Avant lui, et même encore maintenant, je ne suis pas certain de savoir comment ça fonctionne. Je n'ai aucune idée de la manière dont on doit réagir en découvrant celle ou celui qu'on aime encore désespérément en train d'en embrasser un autre.

La porte de sortie s'ouvre avec fracas, faisant sursauter Liam, appuyé contre le mur, ignorant les photographes et journalistes qui tentent de lui soutirer des informations à mon sujet.

— On y va.

— Bien, monsieur.

À coups de coude, mon garde du corps me trace un étroit chemin au milieu de la petite foule. Le soulagement d'être à l'abri de ces rapaces n'est pas suffisamment fort pour chasser la fureur qui fait bouillir mon sang.
Je tiens encore le dernier Popstar dans la main, je le serre à m'en faire mal. Je suis conscient que lire ce que ce truc contient ne m'apportera rien de bon et ne fera que redoubler ma colère alors pourquoi je crève d'envie de l'ouvrir et d'aller regarder ce qu'ils ont écrit sur William et Maverick ?

Oui, je me trompe probablement encore de prénom, et alors ?

À la place, je le pose sur le siège et sors mon téléphone. Un message de Manny m'attend. Il s'excuse d'avoir oublié la réunion et me félicite de m'y être rendu. Malgré tout, ces mots ne me font rien. Je suis vide de toute autre émotion que la rage. C'est comme si le peu de positif qui m'était arrivé ces dernières semaines avait été balayé par cette satanée photo. Ça me sape le moral, plus que n'importe quoi d'autre.

Je me demande si c'est possible de tourner la page.
Comment fait-on pour tirer un trait sur une relation de dix ans ? Comment parvient-on à oublier son premier amour ? Est-ce qu'un jour ça fera moins mal ?

Pour une fois, Liam ne tente pas d'engager la conversation et je lui en suis reconnaissant.
Je n'ai pas envie de parler.
J'aimerais que tout ça ne soit jamais arrivé. J'aimerais revenir en arrière et ne pas être entré dans cette salle de musique, ainsi, je n'aurais jamais rencontré Will et je ne souffrirais pas autant à l'heure qu'il est.

Et en même temps…

Je n'aurais pas vécu les plus belles années de mon existence. Je n'aurais jamais connu l'amour.

Ce type, est-ce qu'il l'aime au moins ? Est-ce que Will est heureux avec lui ? Ça me tue de l'imaginer dans ses bras en ce moment pendant que je me bats avec une furieuse envie de tout envoyer valser.

Je remue, tentant de chasser les tremblements de mes mains et mes jambes.
J'essaie tant bien que mal de respirer correctement, en vain.
C'est comme si j'étais en train de me noyer, comme l'année de mes huit ans où j'ai voulu aller nager seul dans la piscine de ma grand-mère et que je n'arrivais plus à remonter. Ça faisait terriblement mal à la poitrine.
J'avais les yeux ouverts, je voyais la lumière du jour au-dessus de moi percer l'eau, tout près, et malgré tous mes efforts, je n'arrivais pas à la rejoindre. Je luttais de toutes mes forces, battant des pieds et des bras, voyant défiler dans ma tête des images de ma sœur et de maman. Des moments où j'étais heureux. Puis j'ai arrêté de me battre et tout est devenu plus calme. Plus paisible. Je n'avais plus mal.