Juillet 2010
1.
A Grand-Grive comme chaque été, le soleil tapait dans la salle et il n'y avait aucun nuage dans le ciel. J'avais ouvert un maximum de fenêtres possible pour créer un courant d'air mais le résultat était grotesque : le vent demeurait inexistant. Passant une main dans mes cheveux, je soupirai sous la chaleur, mon dos collait au dossier de la chaise. La sensation était inconfortable, l'air était humide.
La plupart des élèves avaient le front luisant et l'utilisation des fours au fond de la salle n'arrangeait pas la situation. Certains s'étaient même fabriqués des éventails en papier avec la feuille d'ingrédients.
Heureusement pour moi, la sonnerie de fin des cours de la matinée retentit et un brouhaha s'éleva soudain en réponse. J'allais pouvoir me mettre au frais dans l'arrière chambre pendant l'heure du déjeuner, là où se trouvaient les frigos.
— Attention en rangeant la paillasse, clamai-je, celui qui casse quelque chose revient à dix-huit heures pour nettoyer.
— Professeur, appela une élève au deuxième rang, qu'est-ce qu'on fait de notre pot, Arthur et moi ?
— Vous le jetez. Sauf si vous voulez le garder en souvenir de votre première crème brulée qui pour le coup, a été bien brûlée...
Elle rougit, gênée, avant de se rendre à la poubelle. Peu à peu, les tables se vidèrent et le bruit s'étouffa, me laissant seul avec l'odeur écœurante de sueur de vingt-sept collégiens. Toutefois, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de s'attarder sur la transpiration de mes élèves.
Je m'appelle Alan Gaals et j'ai eu trente-cinq ans en janvier dernier.
Ma vie dans ses grandes lignes est assez calme. Je suis professeur ; j'enseigne la cuisine depuis un peu plus d'une dizaine d'années. Ce métier n'a pas toujours été une évidence ; je préparai un concours dans une grande école, quand soudain j'ai changé de voie. Réorientation brutale, je quittais le droit pour arriver devant les plaques chauffantes. Je quittais les livres de lois et leurs annotations ennuyeuses pour arriver dans l'art. Bien entendu j'appréciais les fours et les recettes depuis longtemps, j'avais de nombreuses bases et je savais que j'avais du talent, si on pouvait appeler ça comme ça ; dans mon cas c'était surtout une passion poignante.
Je me décrirais comme un bon professeur, peut-être un peu sévère sur les bords, cependant cela permettait aux élèves de se perfectionner et d'acquérir des connaissances fiables et une attitude dynamique. J'étais assez bien vu parmi les parents d'élèves et j'étais recommandé pour les cours de soutien.
Je n'avais pas vraiment d'amis parmi mes collègues, néanmoins j'avais la confiance du directeur, Iain Dalore, ce qui me mettait à une place assez privilégiée ; augmentations, nombreux congés payés et autres avantages, je ne m'en plaignais pas. Il me restait quelques amis du lycée, mais que j'avais perdu de vue quand ils avaient déménagé. On se parlait quelquefois mais ils étaient tous mariés et déjà parents.
Quant à moi j'avais partagé la vie de quelques femmes, pendant plusieurs années parfois, mais ces souvenirs ne me laissaient qu'un goût aigre dans la bouche. Je les avais aimées, sûrement, mais elles m'avaient déçues et sans me briser le cœur, elles m'avaient fait perdre peu à peu l'envie d'amour que je ressentais. Désormais, cela faisait cinq ans que j'étais célibataire et je ne cherchais plus la compagnie.
Étrangement, à partir de ce moment-là, mes yeux bleu foncé avaient fini par ne plus attirer personne. Mon grain de beauté sous l'œil gauche n'était plus l'objet de remarques aguicheuses, mes cheveux châtains et ma grande silhouette étaient passés inaperçus. Mon impression première n'était pas que les femmes ne s'intéressaient plus à moi, mais qu'elles ne me voyaient plus du tout. Peu à peu pourtant, mon invisibilité devint une habitude et je cessais d'y faire attention.
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Phantom
Non-FictionElle n'avait pas l'air d'être malheureuse. Je lui avais dit un jour que contrairement à la plupart des gens, elle était obligée de cacher son sourire derrière des larmes. Elle paraissait froide et c'était là sa façon de se protéger ; elle avait touj...