Etendu dans le noir, j'écoute le silence

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1.

Le lendemain, je me rendis à ma cuisine derrière la classe, où devait travailler Matelli. Cette petite pièce était remplie de bureaux et d'étagères, où étaient posés des moules et ingrédients. J'aimais bien y rester quelquefois, pour penser, ici, personne ne pouvait me déranger. Il y faisait frais, et calme. C'était une pièce froide avec des frigos, la lumière provenait de vieilles lampes poussiéreuses, car elles étaient trop hautes pour la vieille Aubervilles qui ne les nettoyait donc pas.

Je devais confier à Matelli une préparation importante, mais avant de savoir si elle la méritait, je devais la tester. J'avais trop souvent vu des assistants incapables de faire ce qu'on leur demandait. Une recette de pâtisserie ferait l'affaire ; que je sache de quoi elle était capable. J'allais lui demander quelque chose que je n'avais pas eu le temps de faire car j'étais occupé à évaluer les élèves. Si elle échouait, elle finirait à la plonge, si elle réussissait, elle serait du même côté de la table que moi.

Elle arriva un quart d'heure en avance et je la fis entrer. Je répondis à son bonjour par un signe de tête et me retournai, pour en finir au plus vite, annonçant :

— Je dois vous confier la préparation d'un gâteau plutôt complexe, vous trouverez les ingrédients nécessaires dans les armoires. Prenez gare à tout remettre comme vous le trouvez, tout est minutieusement rangé ici. Vous disposez du temps qu'il vous faudra, essayez de finir avant le déjeuner tout de même. Suivez-moi, votre plan de travail est ici.

Je lui indiquai la petite table près de mon bureau. Elle posa alors son sac beige dessus et réprima un bâillement. Aujourd'hui elle portait une jupe en jean qui laissait ses jambes nues au-dessus de ses baskets blanches.

La sonnerie retentit aussitôt, je la laissai seule avec la feuille de consignes. Déjà les élèves chahutaient dans les couloirs. En soupirant je sortis les cours du jour, prêt à sévir au moindre frémissement : depuis que je m'étais levé j'avais mal au crâne et le comprimé que j'avais avalé ne faisait pas effet.

Le cours d'aujourd'hui était destiné à la préparation manuelle d'un éclair au chocolat. Un seul binôme fit quelque chose de bon, même si la forme ressemblait plutôt à une meringue. Et la matinée fut habituelle.

Lorsque midi sonna et que je retournai la voir, Matelli m'apprit qu'elle avait terminé son travail. Elle était assise et regardai l'écran de son téléphone portable, cela m'agaça. En m'approchant de sa préparation, à mon étonnement, je me rendis compte qu'elle l'avait bien composée. Je fis l'air de rien, mais j'étais tout de même un peu déstabilisé.

— Bien... Cela me convient, vous avez passé la première étape. Je vous informe donc de ce qui suit ; j'ai une tâche importante à vous faire entreprendre cet après-midi, un cadeau pour le maire, de la part du directeur. Il nous faut un baba au rhum, c'est la pâtisserie préférée de sa femme. Mais en attendant vous pouvez aller déjeuner.

Comme elle ne bougeait pas, j'ajoutai :

­— Dépêchez-vous et arrêtez de me fixer comme ça avec cet air hébété.

Elle tourna les yeux, ferma sa bouche qu'elle avait semi-ouverte, comme si elle sortait de ses pensées. Sur ce, elle sortit de la classe, vexée. Je me frottai les yeux, j'avais repris le dessus bien qu'elle m'ait étonné sur cette recette.

Matelli était une fille discrète, je ne l'entendais presque pas. Elle réussissait parfaitement tous mes travaux. J'avais pourtant cherché la petite bête dans chacune de ses réalisations. Mais rien n'y avait fait. Elles étaient à définir comme très bien réalisées. On aurait même pu croire que c'était moi qui les avais conçues. Même un spécialiste n'y aurait vu que du feu. Avec la même quantité de rhum que moi, exactement. Quand j'y pensais, c'était troublant.

PhantomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant