3. Connais ton ennemi [Réalisme/Polar]

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Messine, Sicile, 1953

Résidence des Santoro

Gloria n'aurait jamais cru coller une balle dans le crâne de son mari ; elle pensait plutôt à diluer une bonne dose de cyanure dans son chianti. Ceci dit, le résultat était le même. Il ne restait plus qu'à appeler Giuseppe pour se débarrasser du corps et nettoyer la scène de crime.

Elle se dirigea vers la pièce contenant tous ses petits secrets : son bureau. La jeune femme s'empara de son carnet d'adresses, rangé dans l'un des tiroirs près du téléphone.

— Voyons donc... B... D... G. Gabriela... Gerardo... Giuseppe Lombardi. C'est lui.

Elle composa le numéro, entachant le cadran d'hémoglobine. Il arriva quelques minutes après, accompagné de ses soldats.

— T'y es pas allée de main morte ! s'exclama-t-il, étonné.

Ses hommes s'attelaient à faire disparaître la moindre trace de sang. À les regarder, il s'agissait d'un boulot tout ce qu'il y a de plus normal. Une routine, à un détail près : cette fois, le cadavre faisait partie des Vitale, leur propre famille.

— Vous pensez que ce sera suffisant ? demanda-t-elle, ironique.
— Ha ha, le boss va aimer ton audace, ma jolie ! s'amusa-t-il en tirant sur son cigare.

Les émanations embrumaient la pièce qui, quelques heures plus tôt, abritait encore l'homme ayant fait basculer Gloria dans l'ombre du monde.

***

Deux ans plus tôt...

Miracolo a Milano venait de sortir dans les salles obscures italiennes. Cinéphile dans l'âme, Gloria n'aurait manqué pour rien au monde le dernier film de Vittorio de Sica. C'est le cœur lourd, empreint d'une certaine tristesse mêlée à de la mélancolie, qu'elle quitta le cinéma.

À L'Erudito, son bar favori, elle s'installa à sa place habituelle. Situé à proximité de lieux culturels, cet établissement favorisait les échanges enrichissants, sur fond de jazz. Les murs étaient couverts d'affiches de films, de citations littéraires, de chanteurs célèbres. Nul besoin pour Gloria de passer commande, le serveur la lui apportait d'emblée.

— Eeet le café macchiato de Mademoiselle Fantini. La séance tant attendue vous a-t-elle plu ?
— Merci Emilio, articula-t-elle. Oui, j'ai beaucoup apprécié. De Sica reste fidèle à lui-même, pour mon plus grand plaisir.
— Dans ce cas, je penserai à aller le voir avec ma femme !

La venue d'autres clients interrompit cette brève discussion. Le regard plongé dans la mousse de lait, elle était pensive.

— Il est vrai que c'est un beau film, lança un inconnu, même si j'ai préféré son précédent long-métrage, Ladri di biciclette.

Surprise, Gloria leva les yeux vers un homme d'affaires distingué, aux alentours de la trentaine. Il se tenait debout, arborant un smoking gris foncé et une chemise blanche. Il reprit :

— Excusez-moi, je ne voulais pas vous effrayer. J'ai entendu votre conversation et j'ai aussitôt souhaité échanger avec vous. Puis-je m'asseoir ?
— Oh, euh... ce serait avec plaisir, Monsieur... ?
— Décidément, je suis très malpoli ! Santoro. Vincenzo Santoro. Enchanté.
— Il n'y a pas de mal, je vous assure, gloussa-t-elle. Gloria Fantini. Enchantée !
— Fantini ? Y aurait-il un lien avec le maire ?
— En effet, Carlo Fantini est mon père.
— Je me disais qu'il y avait une ressemblance ! s'exclama-t-il. J'ai voté pour lui, vous savez. Et je compte le refaire s'il se représente aux élections de l'année prochaine !
— Il en serait flatté !

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