2. Vélo volé [Fantastique]

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Cela fait maintenant plus de trois ans que notre grand-mère nous a quittés. Sa maison est restée muette depuis ce jour. Entre ses murs flétris, humides, victimes du temps, de nombreuses vies se sont succédé. Une part de nos racines.

Aujourd'hui, le calme est quelque peu brisé par notre présence. Ma sœur m'aide à récupérer les affaires de famille. Le carrelage, le papier peint à fleurs, le poêlon trônant toujours fièrement sur la cuisinière venue d'un autre temps... Chaque pièce comporte son lot de réminiscences, le témoignage d'existences passées.

J'ai presque l'impression de la déranger. Après tout, mon but premier est de la dépouiller d'une partie de ses biens. Des caisses remplies de photos de famille aux vieux bibelots. Ma curiosité est piquée lorsque je me trouve face à la porte donnant au grenier.

Je n'ai jamais pu m'y rendre. Il s'agit probablement de ma dernière chance de créer un souvenir de cet étage. J'enclenche la poignée, avant de la tirer vers moi. Les marches fines combinées à l'absence de rampe ne facilitent pas mon ascension.

Se dévoile une grande mansarde poussiéreuse ponctuée de bric-à-brac aux extrémités. Une odeur de renfermé émane de la pièce. Le plancher semblant fragile, je m'y aventure prudemment. Après quelques minutes, pensant avoir terminé mon tour, je me dirige vers l'escalier.

À ses côtés, un objet coloré ressort de cet environnement grisâtre : un vélo rouge pour enfant, muni de roues stabilisatrices. Mis à l'écart du reste, illuminé par une des seules fenêtres, il attend. Il attend que mon regard l'agrippe, décelant en lui un vif intérêt, une inspiration.

Je sors mon téléphone, m'accroupis avant de capturer cet instant qui, sans même cette intervention, semble éternel, immuable. J'imagine mon père, soixante ans plus tôt, un appareil photo d'époque entre les mains, immortalisant l'exacte même composition.

Je l'imagine pédaler, en plein été, après avoir mangé une bonne glace goût vanille. A-t-il appris à rouler dessus ? Ou ce vélo appartenait-il à son petit frère ? L'une de ces deux hypothèses doit être correcte, mais personne ne peut m'apporter de réponses.

***

Je me relève, m'en approche, touche du doigt la selle blanc cassé ayant traversé des générations. La matière est sèche, comme prête à céder sous une plus forte pression.

Mon esprit est anormalement captivé, aspiré par la bicyclette. Une brume épaisse, invisible, recouvre mes oreilles pour ne laisser qu'un silence assourdissant. J'ignore combien de minutes se sont écoulées avant qu'elle ne soit dissipée par un klaxon. Le cœur battant, je me ressaisis, cherchant instinctivement la source.

Mes yeux se posent alors sur le guidon, disposant d'un avertisseur sonore. Mon imagination me joue probablement des tours, mais je préfère vérifier la théorie. Le bras tendu, je presse la supposée raison de mon réveil.

Ces soupçons sont avérés. Soudainement, une partie du mur faisant face au vélo se met à trembler. Surpris, apeuré, je rampe à reculons jusqu'à entrer en contact avec une planche posée au sol. Les briques chutent au fil des secousses.

La poussière retombée, un ciel morne se manifeste. Je me rends compte qu'il est censé y avoir la maison voisine. Hors, nulle trace d'une quelconque habitation. Le trou ainsi créé est étonnamment de forme triangulaire.

Une puissante bourrasque en jaillit. Elle emporte la moindre babiole à l'exception du deux-roues, qui reste de marbre. Dans la hâte, je lutte contre le vent pour parvenir à m'y cramponner. Cette cacophonie grandissante étouffe ma voix, hurlant le nom de ma sœur.

La force du souffle s'amplifie à tel point que mes pieds ne touchent plus le parquet. Je fixe ma main gauche, tenant fermement le guidon. Celle-ci se met tout à coup à rapetisser, rajeunir. Il m'est impossible de réfléchir pour expliquer ce phénomène. Le reste de mon corps suit le mouvement, ainsi que mes vêtements.

Bribes d'UniversOù les histoires vivent. Découvrez maintenant