La maison est vendue. Enfin. Des mois à supporter les visites incessantes de curieux, d'impolis, de gens qui ne savent pas ce qu'ils veulent, ou du moins pas notre maison « atypique ».
Tout le monde est couché. Les enfants dorment dans ce qui était leur chambre. Le doute me prend même si ce n'est plus le moment. Est-ce qu'on a raison de les déraciner, de tout recommencer ailleurs ?
Mon homme est au lit, lui aussi. Il regarde une de ces innommables émissions de mécanique.... Je ne les supporte plus, c'est pourquoi j'ai eu envie de profiter de « mon jardin » tant que c'est encore le mien.
A la clarté de la Lune cet espace anarchiquement fleuri est magnifique. Chaque recoin du jardin regorge de fleurs, d'arbustes sans oublier mon arbre sculpture... Oui, oui, un jour j'ai décidé de torturer un arbre en tordant ses branches, suivant ses inclinations, cela a donné ce que j'appelle pompeusement une sculpture végétale. Je ne me fais aucune illusion, ils l'arracheront. On s'abstient depuis des années juste parce que ça m'amuse. Il a des épines, c'est dangereux. Tant pis.
Dessous, mes pivoines. Leur parfum embaume l'air. Je glisse au sol, m'allongeant dans l'herbe, allume mon petit pétard du soir, c'est mon moment... La fumée qui s'échappe de mes lèvres est comme un brouillard qui s'insinue dans ma tête. Je me laisse aller à la contemplation de la voûte céleste qui s'étend devant moi, à l'infini... Et au-delà.
La lumière des étoiles que j'observe est celle d'il y a quatre-vingt ans. Le temps quelle met à parcourir la distance qui nous sépare... Si seulement...
Je me perds dans mes pensées embrumées...
*
– Muse 142125 !
Un escalier de fer, un couloir étroit et obscur, au fond de ce couloir une porte entrouverte d'où nous parviennent les accords d'une musique, qui en ce lieux paraît irréel...
Pendant que je chantonne une de mes chansons préférée je me rend compte... C'est I-R-R-E-E-L. Je suis seule face à cette porte, avec cette musique et cette voix qui s'énerve à présent :
– Muse 142125 !!!
Je rentre, j'ai l'impression d'être dans le bureau du proviseur. Face à moi, un homme grisonnant. Il lève son nez rehaussé de petites lunettes d'un dossier rouge. Il n'a pas l'air très content, ni très commode. Je me demande si finalement je n'aurais pas préféré un rêve avec le puissant seigneur du côté obscur m'invitant à le rejoindre.
– Effacez moi ce sourire de votre visage. Il n'y a pas de quoi se réjouir. Me lance l'ancien. Direct, piquée au vif, je m'apprête à lui répondre quand il me fait taire d'un geste de la main, avant de me faire signe de m'asseoir.
– Vous étiez pourtant un élément prometteur, mais franchement faire des enfants ! Qu'est-ce qui vous a pris ?!
– Pardon, de quoi on parle, là ? J'avoue que j'ai un peu de mal à vous suivre ? Qu'est ce que je fais ici ? Dans ce rêve ? Avec vous ? On ne se connait pas, je ne vous permet pas de juger de mon envie, mon droit à faire des enfants.
– Si, justement j'ai tous les droits. Et cela fait trois ans que vous ne faites rien d'autre que vous occuper d'eux. Vous négligez complètement votre travail.
Alors là, je vois rouge, comme son dossier.
– Je ne suis plus infirmière et ne le serais plus jamais, pas tant que le syst.
Je ne peux pas aller plus loin. Ma bouche se ferme et je crois que mes yeux veulent sortir de leurs orbites. Lui se lève et fulmine littéralement, le dossier éclate dans ses mains, les feuilles volent de partout. J'aperçois sur certains feuillets, des photos de personnes que j'ai connues.
– TAI-SEZ-VOUS !!! Comment avez vous pu inspirer qui que ce soit avec une telle diarrhée verbale ! Je me fiche de votre boulot de soignante, quoi que à travers ce biais vous avez été très efficace, en touchant une large population...
Il se calme, se rassoit. Moi, je suis toujours figée sur ma chaise, la bouche scellée. Condamnée à écouter ce qu'il a me dire. Même si cela provoque un écho en moi, je n'en ai pas du tout envie.
– La Creuse ? Franchement, vous n'avez pas trouvé mieux pour vous enterrer ?...Vous ne souriez pas ? C'était un jeu de mots Creuse/enterrer.
Je suis face à un fou. Un psychokouak avec un humour de merde. Ou c'est moi qui n'ai pas d'humour, on m'a toujours dit que j'en était dépourvue. Mais sans rire, c'était pas drôle. A défaut de pouvoir parler, je décide donc de lui faire ma moue de blasée.
– Sérieusement, vous avez fait du super boulot avec vos enfants. Vous avez semé plein de graines pour les inspirer. Malheureusement votre entêtement à vous isoler nous oblige à intervenir.
Là, je pâlis, de quoi il parle ? Intervenir ? Comment ? Pourquoi? COMMENT ?
– Du calme, du calme, la personne dont vous prendrez la place est tout à fait compétente pour enseigner à votre progéniture ce dont ils ont besoin maintenant. Vous, vous avez... Une chance de réussir.
Devant mon air perplexe, et outrée (si, si, j'y arrive) il se décide à développer.
– Comment vous expliquer... Hummm... Oui, vous êtes une inconditionnelle de la Roue du Temps ?
Je hoche la tête.
– Le temps est une chose bien complexe, là où Robert Jordan* avait raison c'est qu'il n'y a ni début, ni fin, pas de passé, ni de futur. Le temps est une roue qui tourne, filant une toile qui forme le destin. Or dans cette toile vous avez créé un flou, cette autre personne également. D'où notre intervention.
Mon air n'est plus outré, juste perplexe.
– Qu'est ce qui n'est pas clair ? Bon je vous rends l'usage de la parole mais n'en abusez pas. Il pointe un doigt menaçant vers moi. J'ai vraiment l'impression d'être...
Je suis perdue.
– Je vais être séparée de mes enfants ? Je dois prendre la place de qui ? Dans quel but ? Que dois-je faire pour retrouver ma famille ? Quel rapport avec le temps et tout ça ?
– Holà ! C'est ce que vous comprenez quand on vous demande de parler avec modération ? Bon, oui dans l'intérêt de vos enfants et l'équilibre des civilisations vous allez être séparé. Vous allez voyager jusqu'en -600 avant J.-C., prendre la place de la princesse Amytis. Elle prendra la votre. Votre mission est simple : inspirer le roi Nabuchodonosor II, faites lui construire les jardins suspendus. Pour retrouver votre famille, accomplissez votre tâche, sans toucher alcools ou drogues. Vous ne devez en aucun cas souiller le corps qui sera le vôtre sinon l'échange deviendrait impossible.
Je suis sidérée. Je dois reconnaître qu'avec mon burn-out je me suis peut-être un peu laissée aller de ce côté là. Bon un esprit sain dans un corps sain, ça doit être possible. Mais si l'esprit n'est pas sain, peut on quand même aspirer à un corps sain ? Mon cerveau s'emballe, pleins de scénarios défilent dans ma tête... Je respire un grand coup, je ferme les yeux et fais le vide dans ma tête, visualise une flamme. Quand je rouvre les yeux, c'est calme et déterminé que je lui réponds :
– Je veux me RÉ-VEIL-LER !
Contre toute attente, il me fait un petit sourire en coin.
– A vos ordres ! Me dit-il avant d'éclater de rire.
*Robert Jordan nom de plume d'un auteur américain de Fantasy : La Roue du Temps.
VOUS LISEZ
La marque d'Ishtar
DragosteUne histoire de voyage temporel dans la mythique cité de Babylone. Suivez les déboires d'une héroïne entre choc des cultures, trahison et triangle amoureux.