1 : Réveil en douceur

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Je me suis réveillé avec la sensation de flotter, en effet je flottais, dans une sorte de liquide semblable à du jus de couilles. La cuve de cellulo-gel pivota lentement sur elle-même, s'inclina vers l'avant, pour mieux me cracher sur le sol. L'extrémité du tuyau que j'avais enfoncé dans la gorge percuta le sol. Il s'enfonça un peu plus dans mon œsophage, créant une remontée d'acide des plus agréable. Je saisis le morceau de plastique à deux mains pour le retirer et respirer à nouveau par mes propres moyens. Bien que facile à virer, l'action n'en restait pas moins désagréable, cette merde mesurait pas moins de trente centimètres.

À quatre pattes comme une bête, les muscles encore engourdis, j'ai dégueulé le peu de liquide que j'avais ingéré durant mon séjour dans la cuve, l'odeur était à l'image du goût : une bonne limonade de couille.

À côté du cellulo-gel les rations militaires d'une garnison lunaire pouvaient passer pour de la gastronomie de luxe. Il m'a fallu plusieurs secondes pour distinguer correctement l'environnement qui m'entourait. Tout était blanc. Ca avait bien la gueule d'un hôpital, les lumières au plafond m'éblouissaient totalement. L'endroit puait le chlore, il avait dû être désinfecté récemment ou alors le stagiaire avait renversé la mauvaise bouteille dans un coin. La pièce n'était pas grande, vingt mètres carré max, la cuve et tout le merdier branché à celle-ci prenait déjà pas mal de place. Entre la lumière aveuglante et la saloperie visqueuse que j'avais encore dans les yeux, je ne voyais absolument rien. Il fallut plusieurs minutes pour que ma vision s'adapte, c'est là que j'ai réalisé que trois silhouettes m'observaient à travers leur masque de rat de laboratoire. L'une d'elle porta à sa bouche un petit objet métallique de couleur sombre, une sorte de module d'enregistrement à la con comme ceux qu'utilisaient les psys.

— Patient numéro cent dix-sept réveillé. Transcendance complète. Signes vitaux stables. Adaptation environnementale en cours. Procédure de réveil à quatre-vingts pour cent.

Mon crâne me faisait un mal de chien, un peu comme un lendemain de cuite mal assumée. Malgré mes efforts j'étais incapable de me mettre debout. Je rampais comme une bête blessée en espérant qu'un de ces fils de putes en blouse vienne m'aider. Mais rien. Ils se contentaient de me regarder galérer, peut-être même qu'ils se foutaient de moi.

— Des défaillances musculaires sont à noter, ataxie empêchant le sujet de se mouvoir correctement.

Évidemment que je n'arrivais pas à bouger. C'était comme si mon corps ne répondait pas vraiment à ma volonté. Difficile de se remettre debout avec deux jambes qui se foutaient bien des impulsions électriques que pouvait leur envoyer mon système nerveux. Alors que je rampais en direction du trio de branleurs. L'un d'entre eux s'avança à mon niveau. Celui qui racontait sa vie à l'enregistreur ne broncha pas. C'était une femme. Du moins c'était l'impression que j'avais en la regardant à travers son masque. Elle avec les traits fins, une stature moins imposante. Elle sortit une petite lampe qu'elle déplia dans sa main avant de m'éclairer la gueule.

— Réflexe oculaire satisfaisant. Votre nom ?

Qu'est-ce que tu me veux toi... Aide-moi à me mettre debout..

— Votre nom ?

Haphelros...

— Savez-vous en quelle année nous sommes ?

Qu'est-ce que c'était que cette question à la con ? J'avais mal de partout, c'était tout juste si mon cerveau allait pas me couler par le nez, et l'autre me prenait pour sa putain d'horloge parlante.

2137... C'est quoi ces questions à la con, ton interface peut pas t'y afficher ? Tu veux me demander la météo et combien y'a de mois dans l'année aussi ?

— Sujet victime d'un décalage temporaire dû à sa longue période de suspension.

Mon cerveau commençait à cogiter sûrement trop. L'ambassade, les missions, les scalpes des familles, le foirage de l'opération, les civils morts, tout ce merdier qui me tombait sur la gueule, la condamnation, la suspension... Une douleur cinglante me vrilla le crâne. C'était comme si on farfouillait dans mon cerveau avec une vibrolame. Je me suis recroquevillé en dégueulant le reste de cellulo-gel sur la toubib. Elle n'avait pas l'air paniquée, pas plus qu'elle ne semblait dégoûtée du gel couleur liquide gastrique qui glissait lentement le long de sa blouse.

— Le réveil mémoriel est souvent douloureux. Les souvenirs vont se reformer et reprendre leur place.

Je tremblais comme un camé en manque, incapable de répondre, incapable de bouger. Tout me revenait en tête... la suspension, la grande nouveauté. L'exécution ou la tôle classique, c'était bon pour le petit peuple ; les petites frappes, pédophiles, violeurs, meurtriers. Quand on était considéré comme un salopard de premier ordre, on vous mettait au frigo le temps de votre peine, puis un beau jour vous finissiez au micro-ondes en mode décongélation. Avec un peu de chance, le sujet ne passait pas le réveil, car malgré le progrès ça restait compliqué de « ramener » un steak congelé du pays des rêves. On ne vivait pas dans une connerie d'œuvre de science-fiction et le taux de réussite restait très bas et ça convenait à tout le monde. Et pourtant, malgré tous les ratés, j'étais bien là, la gueule embrumée et la tête prête à exploser.

Tout me revenait en mémoire... Wagner, Vanguard, Armada... L'attaque de l'ambassade, l'élimination des témoins. Je pouvais revoir leurs regards terrifiés alors que je pointais le canon de mon arme sur eux. Je suffoquais. Je perdais les pédales. Je sentais que quelque chose n'allait pas, puis j'ai réagi. Je regardais ma main droite, et j'avais tous mes doigts. Putain tous mes doigts. Ma mémoire déconnait peut-être, mais y'avait pas à chier, j'avais perdu un doigt durant l'attaque de l'ambassade, et là, ils étaient tous bien là, même pas amochés. Il n'y avait aucune trace de chirurgie visible, pas même l'ombre d'une cicatrice. J'ai fait l'erreur de me passer une main sur le visage dans l'espoir de virer la sueur froide qui me parcourait et là...

La peur.

Au touché, je ne reconnaissais pas mon visage. Rien ne correspondait à mes souvenirs. C'était impossible : je sentais mon cœur battre à tout rompre. C'était comme crever, mais en pire.

Un miroir.

— Ce n'est pas une bonne idée, la phase de réveil est importante, le choc cor...

Un putain de miroir ou je te brise la colonne vertébrale !

Elle avait sursauté puis reculé. Même si j'étais incapable de bouger j'étais prêt à lui sauter dessus. Elle lança un regard au duo de connards qui n'avait pas bougé, puis, sur un hochement de tête, elle attrapa une plaque posée sur une table d'opération, elle soupira avant de me tendre la glace. J'ai saisi la plaque et je me suis regardé dedans.

Le déni.

J'étais moi, mais ce n'était pas mon visage que je voyais. Je n'avais aucune idée de qui était ce type, mais c'était pas moi, ce n'était pas mon regard, ce n'était pas mon nez... J'ai jeté la plaque dans un coin de la pièce. C'était trop pour moi, je sentais ce corps qui n'était pas le mien se tendre comme si je me faisais taser. Autour de nous, les appareils de contrôle se mirent à sonner à l'unisson. La toubib réagit aussitôt. Avant que je ne bouge, elle me planta une aiguille dans le cou. L'effet du sédatif ne se fit pas attendre et ce fut le trou noir avant que j'ai l'occasion de lui en décocher une.

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