Chapitre 4

9 1 0
                                    

  La dispute avec Rachel n'a pas duré longtemps. Quinze minutes plus tard, nous avions déjà recommencé à rigoler de tout et n'importe quoi. Je déteste les prises de bec, je n'en ai pas l'habitude.

Une fois que nous avons terminé de répondre à toutes les questions, trois heures plus tard, je décide de partir.

-Skye ! m'interpelle Rach. Encore désolée d'avoir réagi comme ça tout à l'heure...

  Son regard est empli de regret et de pardon. Je ne peux y résister.

-Ce n'est pas grave, Rach. Oublie, je lui réponds en lui adressant un sourire sincère, qu'elle me rend par la suite.

   Elle me raccompagne jusqu'à la porte. J'enfile mon coupe-vent.

-Fais attention sur la route, m'avertit-elle. J'ai vu qu'ils prévoyaient des violents orages.

  Je repars dans le froid et remarque les gouttes de pluies qui commencent à tomber. Quelques minutes plus tard, c'est presque un torrent de pluie qui s'abat sur San Diego. Le tonnerre gronde, j'accélère la cadence sur mon vélo.

On dirait une ville fantôme. Les seuls gens que j'ai vu sont ceux qui rentraient leurs fleurs à l'intérieur de chez eux et me jetaient un regard de pitié, seule sous l'orage.

  Je manque de tomber à plusieurs reprises, le sol est glissant et les coups de tonnerre me font sursauter. Les maisons normalement colorées de la ville me paraissent ternes, décolorées, presque grises. Je suis la vieille ligne blanche sur le côté de la route qui a été peinte sans utilité, aucun véhicule ne passe par ici.

   Puis une série de coups de tonnerre s'ensuit partout dans la ville. Il ne reste qu'environ dix minutes avant d'arriver chez ma tante Sophia.

  Soudainement, mes poils et mes cheveux se dressent sur ma peau et une lumière bleutée me frôle. Je peux distinguer chaque particule de ce faisceau lumineux, je peux sentir le goût du sang sur ma langue. Pendant cette fraction de seconde, je suis engourdie de tout mes sens. Anesthésiée de toutes mes émotions. Rien n'a de sens. Une nouvelle lumière, blanche, cette fois, explose derrière mes yeux. Ma mère et mon père se tiennent la main devant le tunnel d'où elle jaillit.

  Ils me disent d'approcher, je suis transportée vers eux. Puis leurs visages se décomposent, ils se consultent du regard et me disent tout deux que je dois partir. Que ce n'est pas le bon moment pour moi. Qu'ils m'aiment. Puis je m'éloigne de mes parents contre ma volonté, je hurle leurs prénoms me débats. La lumière blanche disparaît peu après, car un choc la remplace par des voix lointaines.

-... défibrillateur a marché. Il n'y a plus qu'à espérer qu'elle se réveille.

-... une chance qu'elle vive encore après s'être prise la foudre.

-... Skye Rivers, nièce de Sophia Lorren. Contactez-là.

-... aucun problème, Madame Lorren ! L'ambulance est bientôt en route.

  Puis le trou noir. Les ténèbres m'accueillent sur leur lit sombre et douillet, me promettent la tranquillité.

-Skye.

  Skye ? Ça paraît familier à mon esprit.

-Je t'en prie, réveille-toi, me susurre une voix douce comme le miel.

  Ça me revient. Skye est mon prénom. Toutes les informations déferlent telle une cascade dans ma tête. L'après midi avec Rachel, le vélo, la pluie et l'orage, le bleu et le blanc, mes parents et le noir. J'entrouvre les yeux et ma rétine met un certain moment à s'habituer à la lumière rayonnante autour de moi.

Des yeux bleu-gris m'observent derrière une frange de longs cils noirs. Rachel. J'ouvre la bouche, j'essaye de lui parler, de lui demander ce qu'il se passe, mais ma gorge est comme remplie de papier mâché.

-Ne t'en fais pas, je vais chercher le docteur ! s'exclame-t-elle en constatant que je me suis réveillée.

Le docteur ? Alors je suis à l'hôpital. Que m'est-il donc arrivé ?

Un homme de grande taille aux cheveux gris arrive à mon chevet, suivi de Rachel.

-Bonjour, Skye. Pour l'instant, il faut que tu te remettes. N'essaye pas de parler ni de bouger, ça pourrait aggraver la situation. Je vais t'administrer un sédatif pour que tu te reposes.

-Je ne peux pas lui parler, ne serais-ce qu'une minute ? demande Rachel.

Il lui répond par la négative et elle m'adresse un regard désolé quand je tourne les yeux vers elle.

J'ouvre la bouche une nouvelle fois pour protester lorsqu'il injecte un somnifère dans un des cathéters reliés à mes bras, mais les ténèbres s'emparent à nouveau de moi, profondes et brumeuses, et un sommeil sans rêve s'ensuit.

  Souvent, j'entends les voix qui vont et viennent, sans discerner le rêve de la réalité. Rachel me demande de lui pardonner, Eleanor qui me conseille doucement de me reposer, le docteur qui dit « ça va s'arranger » et tante Sophia qui fait semblant de s'inquiéter pour moi.

  La brume se dissipe et mes pensées deviennent de plus en plus limpides. Je n'arrive pas à tout me rappeler pour l'instant, mon cerveau est encore engourdi par le sommeil. Mes yeux s'ouvrent néanmoins. Les néons au dessus de ma tête m'éblouissent mais je m'habitue rapidement à la forte luminosité.

-Bonjour, Skye, me salue un nouveau docteur. Arrives-tu à parler ?

Voyant que le résultat n'est pas concluant, il porte un gobelet rempli d'eau à mes lèvres. Je le bois en entier.

-Réessaye, maintenant, m'ordonne-t-il.

-Je... Que m'est-il arrivé ? je demande d'une voix enrouée.

-Un éclair est passé quelques millimètres de toi, quand tu étais en vélo. Tu es resté sous coma artificiel pendant une semaine.

-Pardon ? Une semaine ? Pourtant les lumières, je les ai vues tout à l'heure...

-Il semblerait que non, dit-il en rigolant. Pourquoi parles-tu de plusieurs lumières ?

-Il y avait la première... bleue, puis la deuxième, blanche, avec mes parents qui m'y attendaient...

-C'est la lumière que l'on voit quand on est sur le point de mourir, Skye. C'est un miracle que tu sois encore en vie. Aucun de tes organes n'ont grillés, mais tes cheveux l'étaient sur les pointes, qu'une infirmière est venue couper pour ne pas les abîmer. Une chance qu'un passant ait assisté à la scène.

   Qu'est ce que ça fait quand on meurt ? Comment on le ressent ? Eh bien, sur le moment, c'est apaisant. Mais maintenant, c'est apeurant; j'ai peur du destin... Ce n'est pas comme si il m'était arrivé un accident totalement improbable ! Et, un autre sentiment, plus profond et terrifiant, me déchire les entrailles : une sorte d'ébauche de dépression.

-Combien de temps va durer ma convalescence ? je questionne, anxieuse.

-On estime que tu pourras sortir dans tout au plus deux semaines, mais si tout se passe bien dans une semaine. Au début, tu auras du mal à marcher et à faire des mouvements, puis ça se dissipera peu après, conclut-il en souriant.

« C'est un miracle que tu sois encore en vie ». Les miracles n'arrivent jamais seuls.

DifferentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant