Chapitre 2

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Les branches d'arbres dénudées du Golden Hill Park se balancent au vent, je les observe depuis notre banc.

-Skye, on continuera à se voir même après nos assortiments, pas vrai ?

Rachel a toujours eu la peur de perdre ses amies. Aujourd'hui elle n'a pas l'air dans son assiette.

-Ne t'en fais pas, je te le promets ! dis-je en souriant. On ne sera pas tout le temps fourrées avec nos compagnons, de toute façon ! je rigole.

-Tu as sûrement raison... tu as commencé à répondre aux questionnaires ?

Hier soir, j'ai lu les centaines de questions que l'on m'avait envoyé, mais je n'y ai pas encore répondu.

-Non, mais j'ai regardé ce qu'ils demandaient. Qu'est ce que c'est long ! je soupire. Et toi ?

  Elle secoue la tête pour nier.

-Si ça te dit, tu pourrais venir chez moi, on les remplirait ensemble ? me propose-t-elle.

-Bien sûr que ça me dit ! Quand est ce qu'on se fait ça ?

Au moins, je ne serais pas seule face à cette montagne de questions !

-On prévoit ça à quinze heures ? me demande-t-elle.

-Super ! Merci, Rach. Ça me rassure de faire ça avec toi.

  C'est à son tour de sourire. Nous discutons de tout et de rien, de nos professeurs, de nos camarades.

-Tu savais que Ariane Miller a eu des symptômes du cancer de l'opération militaire ? me questionne Rachel. La pauvre, dit-elle en baissant les yeux. Ils ont prévu son exécution le mois prochain.

Alors c'est pour ça que Rach avait mauvaise mine...

  Ariane est une fille vraiment très gentille, qui venait souvent nous parler. Je n'arrive pas à y croire. Elle et ses belles boucles blondes qui tombaient en cascade dans son dos et son sourire sincère, l'amie de tout le monde, doit être méprisée par tout le monde à présent.

  Les restes de la guerre sont des déchets. C'est comme ça.

-De toute façon, elle allait en mourir, son cancer est trop avancé, à ce qu'il parait, continue ma meilleure amie. Ils la gardent dans une cellule pour malades.

  Je soupire. C'est dur de voir les gens de votre entourage disparaître.

-J'aurais aimé lui dire au revoir, mais c'est trop tard, n'est-ce-pas ? je demande.

-Oui. Il l'ont décrété comme contagieuse, continue-t-elle d'une voix rauque.

  Elle a les larmes aux yeux. Je la prends dans mes bras.

-Rach, ne t'inquiète pas. Ariane est une fille forte, je suis sûre qu'elle affronte la situation avec courage, et puis mieux vaut qu'elle meure sans souffrances, pas vrai ? je la réconforte. Et puis elle pense à nous très fort, elle aussi.

Elle laisse maintenant ses larmes couler librement, et mon épaule leur sert d'éponge. J'ai bien trop pleuré dans le passé, maintenant les miennes ne trouvent plus leur chemin, les vannes ont été coupées.

Quelques passants nous jettent des regards mauvais, que je leur renvoie. Les gens d'ici ne sont pas habitués à voir de l'amour. Ça n'existe pas dans les lois à respecter.

-Je... Elle va me manquer, bégaie Rachel. J'espère qu'elle va bien.

Je frotte son dos tremblant. Je sais mieux que personne ce que ça fait, la perte, ce vide douloureux dans la poitrine.

-Moi aussi elle va me manquer, mais c'est ainsi, les gens viennent et vont. C'est la vie. Mais il faut savoir être plus fort, Rach.

-Je sais... Mais je ne suis pas aussi forte que toi, Skye, hein, murmure-t-elle.

-Ça vaut peut être mieux pour toi, car si j'ai l'air d'être calme, c'est que j'ai subi la perte, je réplique d'un ton calme. Je ne le souhaite à personne. Et puis Ariane ne voudrais pas qu'on soit tristes pour elle, mais plutôt que l'on soit heureuses !

Rachel sèche ses joues humides et me répond avec plus d'assurance :

-C'est vrai, allons faire un tour dans le parc !

Je lui souris. Elle a arrêté de trembler, c'est déjà ça. D'habitude, c'est elle qui est comme ma grande sœur, ça me surprend.

-Allez, Skye ! me lance-t-elle en rigolant et en se relevant. La première à la patinoire du parc ! me met elle au défi.

Nous courons, hilare, et elle arrive la première.

-Tu sais patiner, toi ? me demande-t-elle, à court de souffle.

-Non, je réponds en éclatant de rire. Et toi ?

-Pas non plus ! Alors c'est le moment de découvrir !

Nous glissons tout le temps sur la glace, mais nous ne nous en occupons pas. Nous sommes heureuses, nous rigolons ensemble, et c'est tout ce qui compte.

  Nous nous quittons à la sortie du parc, à midi.

-On se voit à quinze heure ! Salut, Rach !

-À tout à l'heure, Skye !

  Quand je rentre à la maison, c'est Eleanor qui m'ouvre la porte. Ces boucles brunes mi-longues sont tirées en queue de cheval et elle porte un tablier.

-Salut, Skye ! me lance-t-elle d'un ton timide mais joyeux.

-Salut, Elie ! Mais que fais tu avec le tablier de tante Sophia ? je la questionne.

-J'ai décidé de nous faire à manger ce midi, marmonne-t-elle en rougissant.

J'éprouve soudain un élan de gentillesse pour elle.

-Ah bon ? C'est super sympa, merci ! je lui réponds en souriant.

-Merci à toi !

  C'est à son tour de me sourire de son visage rayonnant. Eleanor est une jolie fille, mais qui ne sait pas se mettre en avant. Avec ses cheveux couleur du bois vernis et ses grands yeux noisette encadrés d'une longue frange de cils foncés, on dirait un ange.

  Tandis qu'elle me laisse rentrer, je constate que tante Sophia est sûrement partie en ville. Mon oncle David regarde les informations à la télévision, le dernier écran auquel nous avons encore l'accès.

-Bonjour, Skye, me salue-t-il. Comment s'est passée ta matinée avec Rachel ?

  Il paraît fatigué, des cernes semblables à des poches s'étirent sous ses yeux, mélange de vert et de marron; de plus ses cheveux grisonnants sont en bataille. David travaille comme avocat pour ceux qui ont encore les moyens de s'en payer un à cette époque.

  Il n'a jamais désapprouvé le comportement de tante Sophia envers moi, mais sûrement car c'est elle qui a le plein pouvoir dans leur mariage, et qu'elle lui fait peur. Il faut croire que mes yeux au beurre noir n'apparaissent pas par magie et qu'il l'a remarqué.

-Ça c'est très bien passé ! je réponds. Nous sommes allées patiner. Je vais chez elle cet après-midi pour commencer à remplir les questionnaires d'assortiment.

-Bon courage à toi, je me souviens avoir mis des heures à répondre à certaines questions, me lance-t-il avec un demi-sourire.

  Nous rigolons et il me parle de quand il a rempli les questionnaires, quand il était jeune.

  Puis, je fille dans ma chambre rassembler les feuilles qui constituent mon avenir, en attendant que ma tante revienne. Après mon mariage, j'espère ne plus avoir à lui parler de ma vie.

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