Le monde est ainsi créé, l'homme est singulier, unique seulement à cause d'un organe qui trône au milieu de son crâne, qu'on appelle un cerveau.
- Je m'appelle Ombeline.
Je me tiens au milieu d'un hall des urgences, désert, à deux heures du matin. Une employée d'ici m'a jeté une couverture pour me couvrir, me cacher étant donné que je suis arrivée ici nue. Mais je n'ai pas besoin de me cacher, tout ce que je possède ici, toutes les femmes le possèdent, des seins au vagin, je n'ai rien qui me distingue des autres, à part mon ombre.
Néanmoins j'obéis. Car le monde est ainsi fait, et je ne suis qu'un insecte qui n'a pas le droit d'imposer ses idées, sa voix et sa vision.
Je me suis rapidement fait prendre en charge, il n'y avait personne à part moi, on a pansé et soigné mes blessures. Je me suis retrouvée dehors, je n'avais rien de grave.
Mais je ne peux rentrer chez moi, c'est impossible. Mes miroirs ne sont plus, je ne peux franchir la porte de ce manoir vide.
Je déambule dans les rues, toise la nuit, cette lune grandiose qui prend toute la place.
Les rues sont vides, et les ombres s'étalent. J'ignore si la mienne me protège.
Et au milieu de ce monde en déclin, désert et à ma merci, une chose, une chose qui n'a jamais eu lieu auparavant : une voix me parvient, aiguisée, froide, coupante, brumeuse et cristalline, tranchante. Elle n'émane ni de derrière ni de devant moi, mais de moi, de mon intérieur.
Je sens mes organes se glacer, ma respiration disparaître, je me sens pétrifiée au bord de l'évanouissement. Cette voix aussi sombre que cette nuit sans nuage, me parvient d'une clarté déconcertante.
- Bonjour Ombeline, ravi que tu acceptes enfin de m'entendre.
Mais moi, je ne veux entendre personne, ni parler à personne, surtout pas avec cette ombre qui me submergeait, me possédait, me dévorait.
- Pourquoi maintenant ? Pourquoi te réveilles-tu maintenant ? demandai-je, ma voix résonnant de manière tonitruante et fébrile dans le vide.
Cependant, mes paroles furent accueillies par un silence assourdissant. Épuisée, je m'effondrai au sol. Étais-je en train de sombrer dans la folie ? Est-ce ce que les êtres humains appellent la démence ? Mais je ne me considérais pas comme l'un d'entre eux. J'étais bien au-delà des concepts de l'humanité, une entité en perpétuel mouvement, une farce créée par un être supérieur, un échec de son expérience.
J'attendis ainsi, immobile, jusqu'au lever du jour. Les passants commencèrent à apparaître dans les rues, m'évitant, me contournant, me lançant des regards effrayés. Ma présence semblait susciter la terreur. Mes yeux, noirs comme l'obscurité, étaient dilatés et cernés, ma peau livide, aussi pâle qu'un cadavre sorti des profondeurs d'une rivière. Mes cheveux noirs étaient en bataille, mon visage figée dans une expression de rage monstrueuse.
Mais je ne me préoccupais guère de leur réaction. Je n'avais jamais accordé d'importance à ces êtres. Je restai là, attendant un nouveau signe de la voix, une autre manifestation me confirmant qu'elle avait bel et bien parlé.
Plus le temps passait, plus je sentais mes membres devenir engourdis, mais je restai immobile. Puis, une odeur me parvint, une odeur de papier moisi, de poussière, un parfum envoûtant, une haleine pestilentielle.
Je reconnus cette odeur, cette essence familière.
Le vieux.
Soudain, toute mon énergie revint, une envie de violence incontrôlable me submergea, me coupant le souffle. Je me redressai brusquement sur mes pieds, prête à fondre sur lui, à griffer son visage, à le faire chuter, à l'écraser, à l'étrangler, à le faire souffrir.
Cependant, dès que nos regards se croisèrent, je fus clouée sur place, telle une bête battue, recroquevillée sur elle-même. Sa hauteur imposante me dominait, son corps flasque et mou semblant prêt à s'effondrer à tout moment. Pourtant, j'éprouvais de la peur en le regardant.
- Suivez-moi.
Mes membres, pourtant raidis par la terreur, obéirent docilement à l'ordre du vieux.
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Le Serment de l'Ombre à la Nuit
ParanormalOmbeline serrait sa main , une main vieille, ridée, témoin des années qui s'étaient égrainées. Il portait le nom de Séraphin, mais le monde le connaissait simplement sous le nom du Vieux. La nuit était la compagne fidèle d'Ombeline. Elle aimait ses...