CHAPITRE I - À GAUCHE

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Bordel. 14/20. En physique. Son père va le tuer. À six mois du baccalauréat, il n'allait pas apprécier, c'est sûr. Xavier glisse un regard à la copie de Georges, assis à sa droite. Bon, il a eu 15, ce n'est pas beaucoup plus. Au pire, il pourrait se justifier avec ça auprès de son père, surtout que Georges est d'habitude toujours un peu au-dessus de lui niveau notes.

Dans la cafétéria du lycée Saint-Paul-et-Saint-Jacques, qui n'est en fait pas vraiment une cafétéria car il n'y a qu'un petit bar au fond, tenu par les membres du Bureau des élèves quand ils ont le temps, il retrouve Pauline. C'est sa meilleure amie depuis le début du collège. Surtout, c'est la seule qui s'est retrouvée dans le lycée privé avec lui après le collège. Elle, c'est plutôt pour la « cadrer », comme disent ses parents. « Un cadre de travers », ironise-t-elle souvent.

« T'en tires une de ces tronches !

- J'ai eu 14 en physique. Mon père va me tuer, je le sens. »

Elle sourit, enlève un écouteur, d'où Xavier entend un son très rock sortir. Elle lui envoie un regard blasé, sous ses cheveux blonds qui lui tombent sur les épaules.

« Et bah, si y a que ça. Moi, quand mon père apprend que j'ai un 14, c'est limite s'il ouvre pas le champagne. »

C'est vrai que ses parents avaient dû apprendre à relativiser. Ses notes ne s'étaient pas du tout améliorées au lycée privé. Elles s'étaient peut-être à peine stabilisées.

« Non mais tu connais mes parents. Enfin surtout mon père quoi. Il a une échelle des valeurs un peu... particulière. »

Pauline hausse les sourcils et Xavier s'installe à côté d'elle, adossé au mur orangé de la cafétéria. Il lui pique un écouteur qu'il s'enfourne dans l'oreille. « Are you the emperor ? » crie Yungblud, sur des tons rock qu'il affectionne, et pique une sieste avant de repartir pour le reste de la journée.

À la sortie des cours, Xavier est flanqué de Georges, Julien et Boris, ses amis de classe. À eux quatre, ils forment le groupe des « bons élèves. » Un œil extérieur les qualifierait de « bon chic bon genre ». Toujours bien habillés, souvent sur des tons pastels, les cheveux toujours bien coiffés. Pas un épi ne dépassait de leur tignasse, jamais une couleur ne jurait par dessus une autre. La seule amie que Xavier a réussi à conserver à côté d'eux s'appelle Pauline justement. Xavier doit sans cesse jouer l'équilibriste entre elle et ses autres amis, qui ne peuvent se supporter qu'en photo. Et encore, il ne savait même pas s'ils se suivaient sur Insta.

Ils la retrouvent sur la grille ornée qui marque l'entrée de l'établissement Saint-Paul-et-Saint-Jacques. Elle vient d'attraper un tract qu'un gars, sweat gris et baskets blanches salies en-dessous d'un jeans noir, lui tend. Tract que Xavier a, poliment mais sèchement, refusé.

« C'est quoi ?

– Je crois que c'est un truc d'écolo. J'ai pas tout capté à ce qu'il y a marqué dessus.

– Putain de gauchistes, souffle Julien. Ils n'ont rien d'autre à foutre de leur vie ? Genre passer un bac, par exemple ? »

Pauline se retourne, un regard accusateur dans les yeux, le visage fermé.

« Si la planète brûle, bac ou pas, tu seras mort de toute façon. » Elle lui tend un tract. « Tiens, j'en ai pris plusieurs. Ça te fera de la lecture. Et puis peut-être que tu comprendras mieux que moi. »

On entend un rire étouffé dans le groupe d'amis, et tout le monde se saisit d'un tract de manière plus ou moins forcé. Puis le groupe se sépare : d'un côté, Julien, Boris et Georges, qui prennent le bus 4, à gauche. De l'autre, Pauline et Xavier, qui prennent le 2, 100 mètres plus loin.

C'est d'ailleurs sans doute pour cette raison qu'ils sont aussi proches l'un de l'autre : deux petites rues séparent leurs maisons. Xavier ne compte plus le nombre d'après-midi qu'il a passées chez Pauline. L'inverse est beaucoup moins vrai, ses parents, en particulier son père, n'appréciant que moyennement sa compagnie.

* * *

* *

« C'est pas avec un 14 que tu pourras intégrer ta prépa ! » Tonne Philippe, son père, les traits accentués par la colère.

– Mais papa, tout le monde s'est planté à ce contrôle !

– Je m'en fous des autres !

– Mais 14 c'est bien en terminale !

Bien, mais pas très bien. Bon, t'as intérêt de te rattraper. Sinon, tu iras à la fac, comme tout le monde.

– J'ai déjà été accepté en prépa... »

Xavier souffle, et son père souffle encore plus fort. Puis il remonte dans sa chambre. En haut des escaliers, sa sœur Louise l'attend. Elle lui chuchote, de manière presque inaudible un « ça va ? » très sincère : elle aussi est passée par là. « Papa est un con », lui répond-il avant de s'enfermer dans sa chambre en claquant la porte.

L'orage arc-en-cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant