CHAPITRE III - LES CALOTTES

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À midi, Xavier retrouve Pauline au self. Le jeudi, c'est souvent le meilleur jour pour manger à la cantine. Une semaine sur deux, il y a des frites. L'autre semaine, ce sont généralement des pommes de terre sautées ou un autre truc du genre. Ce midi, Xavier a pris l'option végétarienne, avec des espèces de galettes de légumes qu'il préfère à la viande en sauce bourrée de morceaux de gras.

Il a volontairement délaissé ses autres amis, prétextant devoir finir un exercice de physique avant le cours, et donc ne pas avoir beaucoup de temps pour manger. Et comme Pauline est censée être douée en physique... Mais finalement, c'est elle qui avale ses frites cinq par cinq.

« Tu manges super vite, qu'est ce qui se passe ?

- Bah je vais à la manif. On part à 13h du lycée pour rejoindre le départ. »

Xavier est interloqué. Il ne pensait pas que Pauline, certes un peu utopiste, irait grossir les rangs de ces excités qui crient leur colère dans la rue.

« Fais pas cette tête, hein. Tu peux venir si tu veux. J'ai un carton pour écrire un slogan dessus. Et j'ai personne pour le porter.

- Non mais ça va pas ! » La voix de Xavier est couverte par le brouhaha de la cantine où se pressent les centaines de lycéens. Pour autant, il a bien conscience qu'il a un peu poussé sur ses cordes vocales. « Tu vas quand même pas sécher pour ça ? » l'interroge-t-il, plus doucement.

- Quoi, tu as quelque chose de mieux à faire que de sauver l'environnement ? Tu as lu le truc sur les surmulots terrassiers ? C'est une espèce protégée qui est menacée par les travaux...

Xavier la coupe sèchement.

- Oui, j'ai mieux à faire, j'ai physique. Et puis ce n'est pas une manif qui va faire changer les choses. »

Pauline sourit, trois frites entre les dents. Elle les avale d'un coup avant de pouffer. Parfois sa malice a le don d'énerver Xavier. Mais c'est parce qu'elle en fait aussi souvent preuve avec les autres qu'il l'aime bien.

« Oui, pardon, Môssieur a physique. Bon je te laisse, j'ai des choses plus importantes à régler dans ce cas. »

Elle s'empresse de finir son assiette et lui donne son dessert, une Danette au chocolat, avant de filer, son plateau entre les mains, les joues encore gonflées par quelques morceaux de pain. Xavier finit le repas tout seul, en trois minutes, avant de rejoindre la cafeteria. Entre midi et deux, elle est suffisamment calme pour pouvoir y réviser tranquillement.

En arrivant dans ce grand hall entièrement vitré, aux couleurs criardes, il découvre Pauline et tout un groupe de lycéens, une petite dizaine. Il s'affairent, par terre, à écrire au marqueur des slogans sur des cartons. « On est plus chauds que le climat », affichait déjà l'un d'entre eux, adossé au mur.

« Ah mais t'es là ! T'en penses quoi de mon carton ? » Pauline bondit depuis le sol en voyant arriver Xavier. Sur sa pancarte, on devine la phrase « Les calottes sont cuites », avec des stalactites dessinées sur le dessus au feutre bleu clair. Xavier ne peut pas s'empêcher de sourire, surtout quand il voit les autres slogans, tous très originaux. Par terre, c'est un vrai atelier de peinture. « Tiens, si t'as pas de pancarte, je te donne celle là. J'en ai trop et je la trouve moins belle que la mienne. » Une fille, les cheveux longs et décolorés, Doc Martins aux pieds, lui met son cartons dans les mains, et Xavier n'a pas le choix que de saisir le carton. « La planète, c'est comme les femmes, ça se respecte !!! ». You-pi, nous voilà sauvés.

« Putain les gars, y a Magneul qui se ramène ! »

Magneul, c'est le CPE. Un cinquantenaire grand et sec, chauve, le visage sévère. Une rigueur glaciale. Xavier ne l'a jamais vu sourire. Là, on l'a entendu marmonner dans le fond du hall et tout le monde s'est mis à ranger ses affaires précipitamment, Xavier compris. Il laisse tomber le carton qu'on lui a filé, et regarde ses camarades s'enfuir comme des dératés, leurs baskets raisonnant dans le hall dans un écho désordonné.

L'orage arc-en-cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant