Chapitre 5

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Anne observe le ciel de sa petite fenêtre dans sa chambre aux pignons verts. Comme d'ordinaire, elle imagine des histoires, des aventures fantastiques, mais pour la première fois, ses doigts la démangent avec force. Elle ressent ce besoin viscéral de saisir un stylo et de gratter le papier avec, de le noircir de mots.

C'est comme si, pour la première fois, se mettre en scène ne suffisait plus et plus elle attend, plus elle tremble d'impatience. Cette sensation étrange de fourmillement dans le bras devient de plus en plus forte à mesure qu'elle reste immobile devant sa fenêtre, jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus.

Elle se lève d'un bond et manque de trébucher sur les livres éparpillés au sol. Elle retrouve son équilibre en écartant les bras et reste une seconde immobile avant de d'étaler comme un lapin qui aurait entendu un coup de feu.

Elle s'installe à son bureau et se saisit d'une page vierge d'un carnet d'école. Elle s'empare d'un stylo et sans savoir pourquoi ou où cela la mène, elle écrit.

Les mots lui viennent facilement au début, plus difficilement ensuite, alors elle s'arrête puis elle reprend.

Elle écrit cette journée extraordinaire, les réactions de Gilbert, la prévenance de Cole, le repas et la nuit chez la tante de Diana.

Et bientôt, elle écrit une rencontre imaginaire, où elle confronte courageusement la directrice de l'orphelinat. Celle à l'origine des sévices, celles qui détestait ses cheveux roux, elle qui la punissait toujours pour les autres.

Elle s'imagine lui faire face avec courage et prestance, avec dignité. Elle écrit qu'elle a réussi dans la vie alors qu'on lui promettait un avenir de mendiante et de prostituée.

Elle imagine sa famille à ses côtés, elle imagine ses parents biologiques, se demandant à quoi ils ressemblent. Elle rature plusieurs descriptions, incapable d'en choisir une...

Puis elle se perd dans ses pensées, imaginant quelqu'un lui tenir fermement la main, avec toute la chaleur d'un amoureux. Elle écrit ses mots alors que son alter ego lève les yeux et croise des yeux noisettes et un sourire chaleureux.

Elle se fige et rature cela vivement en marmonnant :

-Quel imbécile ! Ce Gilbert Blythe est aussi intéressant qu'un vers de terre... Il aime les fleurs en papier !

Elle se remet à écrire, mais dans un coin de sa tête, la scène est bien différente. Gilbert est là avec Cole et Diana alors que sur le papier, seuls ces derniers sont mentionnés.

Mais personne n'a besoin de savoir cela ? N'est-ce pas ?

Elle couche sur des pages, ce qu'elle voulait crier, quand elle était tétanisée.

Elle écrit petit à petit jusqu'à fatiguer.

Le lendemain, elle reprend et alors que la confrontation écrite se termine après des jours d'écriture secrète, à l'abris des regards, elle s'arrête dans la forêt sur un rondin de bois.

Elle se laisse aller à la musique naturelle de la forêt. Elle se laisse bercer par le vent.

Elle écoute et se rappelle, ce que Cole a dit sur le ferry.

« Ta réalité... Est débordante de vie, magnifique et c'est ce qui a fait ce que tu es ! Tu es capable de voir et de rêver tout ce qui est possible ! »

Elle inspire profondément. Les souvenirs qui l'assaillent sont puissants, mais la force de ces mots la transpercent. Elle a l'impression, depuis qu'elle écrit, qu'une partie de son imagination s'est logé dans ses doigts, comme si elle avait de la magie dans les mains !

Elle sourit légèrement en y pensant et inspire une nouvelle fois avant de se lever. Peut-être a-t-elle une autre histoire à raconter ?

-Allons créer, Anne.

Elle laisse Cordélia, la princesse aux perce-neiges, aux cheveux noirs et aux yeux bleus, sans tâches de rousseurs.

Cordélia ne sombre pas dans la terre noire, elle s'élève au coeur des arbres, telle une dryade légendaire qui fleurit avec les saisons et se dissimule en hiver. Anne marche, sa chevelure rousse tombant fièrement en cascade le long de son dos. Ses tâches de rousseurs, sa maladresse, son éclat et sa joie de vivre, plus éclatants que jamais.

Personne ne peut plus la briser, ils peuvent essayer, mais elle est plus forte que jamais. Elle a réussi, toute seule, à se créer une place dans ce petit monde étriqué et fermé. Elle y a apporté sa petite étincelle, qui se transforme bientôt en brasier, car chacun a vu sa flamme intérieure s'éveiller.

Et l'histoire ne fait que commencer...

Tu es uniqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant