Chapitre 11 : Espoirs et Fumées

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(voilà le chapitre final de la Partie 1. Le prochain chapitre ouvre sur le livre deuxième, et la suite de l'histoire des garçons et de la Révolution. On en apprendra plus sur Enora également, et c'est le méga dramaaaaa. Bref. Enjoie) 
(ah et ce chapitre : introducing ma seule, mon unique, ma préférée: Heeeeeelen!) 


"Il vous faut aussi un rabot et des vis ?" Demande le marchand derrière son étal, sa grande poigne forte aux doigts courts faisant l'inventaire des achats du Ménestrel, qu'il place dans un grand sac de toile.
"Des vis à tête plate," précise Nightingale, tout en donnant le diamètre exact des outils dont il souhaite se munir, vérifiant sur sa liste tout ce dont il a besoin de se munir pour son séjour chez le voleur.
"Avec ça..." soupire d'ailleurs Ghost, une fois que le Ménestrel a payé, et s'est chargé d'un énième sac de toile pour rajouter à ses emplettes de la journée, "qu'est-ce qu'il te faut d'autre ?"
"Laisse-moi voir... Du matériel de couture, quelques coupons de cuir, de peaux, et notre périple sera fini..."
"Allons-y..."

Ghost se met à suivre Nightingale, lui prenant des mains d'autorité un de ses sacs bien remplis. Depuis la fin de la matinée, ils écument le Marché du Levain afin que le Ménestrel, épuisant une partie de la généreuse bourse qu'il a gagné à High City, puisse se fournir de tout le matériel qui lui manque pour... Ghost ne sait pas vraiment à quelles fins, vu le monceau d'outils en tous genres, et de matériel de bricolage dont il se charge avec obstination.
Le voleur connaît la tendance des Oubliés à l'artisanat et au rafistolage mais il ne pensait pas que ces traditions vireraient à la parfaite maniaquerie nécessitant leurs poids en achats...

"Où est-ce qu'ils ont installé les vendeurs d'aiguilles et de..." murmure le Ménestrel, tout bas. "Ah, là-bas..."
Le voleur sur ses talons, ils traversent une des allées du marché, sans prendre gare aux crieurs vantant la qualité de tel pain, de tels fruits, ou même de certaines potions à l'efficacité plus que douteuse...

Le Marché du Levain, qui dresse ses étals trois fois par semaine en plein centre du Cœur sur la place du même nom, qu'il neige, pleuve, ou vente, est un lieu toujours en mouvement, où se croisent toutes les couches de la société d'Hillmoore, des vauriens de Basse-Terre, à certains bureaucrates de L'Œil. Les premiers incitant les seconds à garder leurs bourses bien au chaud au fond de leurs poches.
Les étals, par dizaines, s'organisent en rangées dont l'ombre des auvents de tissus chamarrés refroidit quelque peu la chaleur des pavés, un peu persistante aujourd'hui, où un des derniers grands soleils de la saison arrive à percer les perpétuels nuages.
De loin en loin, quelques montreurs de tour, souvent des Oubliés, parfois des Ménestrels apprentis, régalent visiteurs et promeneurs de leurs jongleries, contorsions et tours de cartes.
Le chahut est omniprésent, les bruissements de la foule, des conversations, les fumets des viandes, des pains... Mais Ghost se sent chez lui dans cette ambiance anonyme de mouvance humaine.
Bien que... Demeurer anonyme auprès de Nightingale n'est pas une mince affaire.

Où qu'il aille, et bien qu'il ait aujourd'hui délaissé le manteau de sa Guilde, ne comptant pas se mettre en représentation, le Ménestrel, avec ses yeux légèrement fardés par fond de coquetterie, et ses beaux vêtements de Citadin aisé, semble provoquer chez ses semblables une marée de sourires et de saluts enthousiastes... Et nombre de commerçants tentent de lui offrir une partie de leurs achats, en remerciement de ses représentations, semble-t-il.
Mais le Barde s'obstine à refuser, préférant échanger ces attentions contre quelques fruits ou morceaux de pain qu'il offre aux enfants Oubliés lui tournant perpétuellement autour, sous les regards curieux, mais pas réellement hostiles des Citadins témoins de ces charmantes scènes.
Peut-être est-ce son statut d'artiste qui fait passer ses actes pour les délires d'un original, peut-être que sa réputation de bonté le précède...
Mais Ghost ne se lasse pas, tout en restant scrupuleusement en arrière, de le regarder dispenser ses largesses à grand coup de sourires.

"Tu es sûr que tu ne veux pas une datte fourrée ?" Lui propose d'ailleurs le Ménestrel, devant l'étal du marchand de fruits. "Ou un citron confit ? Ils sont délicieux."
La liste du Ménestrel n'est plus à présent qu'une suite de ratures, ils semblent en être enfin venus à bout, et ne pourraient porter plus de sacs à moins de ressembler tout à fait à des baudets en route pour la foire.
"Est-ce que tu essaies de m'acheter par de la nourriture ?" Lui demande le voleur, levant un sourcil. Le barde n'a eu de cesse de vouloir le nourrir durant toute la durée de leur petit périple. "Ou alors tu veux m'engraisser pour l'hiver et me dévorer ensuite ?"
"Oh, au temps pour moi, monseigneur," réplique Night avec un petit rire, "loin de moi l'idée de vous offenser, mais si je me souviens bien, cette petite sortie était censée être un rendez-vous. Et je vous ai déjà offert des fleurs, il me semble. Peut-être est-il temps de me renouveler."

Ghost secoue la tête, plus touché qu'il ne voudrait le dire. Nightingale n'est rien d'autre que prévenant à son encontre. D'une manière presque trop... douce ? Gentille ? Agréable ? Ses propres amis, sans manquer d'égard à son propos, ne sont pas si délicats, et ne font pas d'entrechats pour lui signifier quand son attitude leur déplaît. La considération constante du Ménestrel est une nouveauté avec laquelle il lui faut composer.
Et le voleur a beau savoir qu'il est n'est pas, loin de là, la cible unique de ces bontés, le barde les dispensant à tout un chacun comme si sa réserve de bonne humeur et de patience était illimitée, il est difficile de rester de marbre quand Night, comme en ce moment, lui offre un sourire charmeur faisait briller ses yeux d'or sous le khôl de sa paupière rehaussée de noir.

"Tu m'as offert une fleur, Poète," répond-t-il, songeant au chardon qui ne quitte jamais la doublure de sa veste, "mais je m'attends à mieux pour un premier rendez-vous qu'un fruit du marché..." il baisse la voix tandis qu'ils s'éloignent tous deux dans la petite allée bondée, "... Fruit que je pourrais subtiliser moi-même, cela dit en passant."
Il ne sait pas pourquoi il provoque Nightingale, s'autorisant des piques qui, d'habitude, le mettraient physiquement mal à l'aise. Attirer la convoitise des autres sur sa personne plus que de raison le révulse. Mais Night... Accaparer son attention complète commence à lui plaire.

La Ballade du Pont des Anges ( MxM) - Tome 1 - NightingaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant