Des étoiles dans la nuit

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Avoir les mains moites, l'estomac qui se tord, le cœur qui s'emballe ou la sueur qui s'incruste n'importe où ce n'était déjà pas amusant en soi, ça l'était encore moins enfermé dans une boîte. Marius examinait les lieux, peu rassuré par ces immenses murs sombres mettant en valeur un chemin droit sans y percevoir de formes amicales à l'horizon. Lorsque les pensées du jeune homme s'orientait malgré lui vers certains mots, il lui semblait que les murs se rapprochaient. Il était convaincu que l'avenir, les projets, la transmission, l'entraide ou les encouragements se moquaient de lui, comme vicié par l'air des environs ou à travers ces ricanements. Et cette voix doucereuse qui lui murmurait :

— Tu sembles perdu et inatteignable, essaie de te recentrer.

Se recentrer ? marmonna Marius dans ses pensées. Fiche-moi la paix !

— La paix ? Tu trembles et gémit depuis plusieurs minutes, je m'inquiète. Marius, ça va ?

Comment ? D'où ? Cette voix le tétanisait, tant elle semblait proche et lointaine ; à mesure que le temps passait, elle devenait préoccupée et Marius n'aimait pas ces pressions sur son bras.

— Marius !

— Vas-tu me lâcher, fichu démon !Pour toute réponse, un petit rire se fit entendre.

— T'en vois souvent des démons, dans ce lieu qui paraît hors du temps ? Marius, c'est moi, Aurora.

Le dénommé Marius se ressaisit petit à petit, rassemblant ses pensées au même endroit. Ce ici, était un lieu touristique fait de forêt et de petites maisons semées çà et là dans les bois. Un endroit réservé pour une semaine d'intégration où des anciens comme Marius ou Aurora se présentaient aux petits nouveaux pour parrainer leur projet. C'était une tradition pour l'organisme qui aidait des auteurs et des illustrateurs à se lancer. Marius venait de décrocher un contrat pour un album jeunesse et il devait parrainer un nouveau venu, un petit gars avec un projet de bande dessiné. Il n'en fallut pas moins pour déclencher chez le trentenaire une série de questions, puis de doutes et enfin, d'angoisses. Il s'était posé sur le perron de ce qu'il croyait être sa tiny house, mais perdu, c'était celle d'Aurora.

« Minable, effrayé par des broutilles, je donne un beau tableau, encore heureux qu'il fait nuit noir » se sermonna Marius qui sursauta à nouveau lorsqu'une assiette entra dans son champ de vision. Dessus reposait un mini moelleux au chocolat et au cœur framboise.

— Tiens, pour me faire pardonner de t'avoir effrayé bien malgré moi, se contenta d'annoncer Aurora avant de s'asseoir près de lui avec sa propre assiette et une tasse de thé. Le thé est posé sur ta gauche, il est à bonne température si tu souhaites le boire maintenant.

Marius fut un peu étonné par ce ton doux et enthousiaste, sans jugement, elle ne cherchait pas à demander ce qui l'avait mis dans un tel état. Elle restait là, avec ce qu'il fallait de réconfortant et de silencieux pour l'apaiser ; Marius se força à ralentir sa respiration, profitant de cette collation pour recouvrer totalement le contrôle de soi.

— Désolé, de t'avoir pris pour un démon... bredouilla-t-il, penaud.

— On peut prendre des visages différents selon les émotions qui nous traversent. Tu étais dans cet ailleurs, j'ai juste souhaité te ramener ici pour éviter que tu te perdes définitivement.

Aurora avait toujours été comme ça, certains disaient "perchée", d'autres marmonnaient du "bizarre" et les derniers offraient le sourire narquois accompagnant le "mysticisme" de la jeune femme. Marius l'évitait par habitude sans pour autant suivre les tendances, pourtant, Aurora était constante dans sa curiosité, son respect et sa malice.

— Le gâteau est délicieux, le thé sent bon, ajouta Marius sincère. Le cœur framboise donne du pep's, j'adore ! Ça fait du bien de se poser un instant.

— Disons que le calme s'obtient par le présent. Quand je me sens dépassée par une situation, je pense à un son que j'aime comme le bruit des cascades. Cela marche aussi avec une couleur, un détail à admirer, quelque chose à manger. Je ne vais pas chercher trop loin dans le passé ou m'enquérir de ce qui se trouve trop loin dans le futur.

Marius eut une moue dubitative, habitué à planifier les choses, à cette culture du résultat vite obtenu ; pour lui, s'arrêter c'était se perdre. Néanmoins, en concentrant sa réflexion sur la texture du gâteau ou sur la fumée du thé, il admettait que se recentrer avait du bon pour ne pas s'éparpiller.

— J'étais parti trop loin, reconnut-il étonné par cet aveu. Le jeune dont je suis le parrain, c'est un gros projet qu'il a et c'est une grosse responsabilité pour moi... J'ai toujours compté que sur moi-même, composer avec un autre humain que je connais à peine est effrayant.

Aurora le laissa patiemment se confier à lui, sans l'interroger sur ce qui l'a amené à être toujours en solo. À la fin, elle lui fit signe de regarder vers le haut. Marius fixa quelques instants le ciel qui sans être embêté par la pollution de la ville, offrait un beau spectacle en ce mois d'août. Des étoiles étincelantes dans cette étendue d'un noir intense, avec quelques pointes de couleurs pour attiser sa curiosité artistique.

Marius n'était pas un aficionado de l'espace, mais il devina à l'air d'Aurora qu'elle retombait en enfance. Ses yeux grands ouverts passaient d'un coin à un autre avec une fascination non dissimulée.

— Les étoiles, les flocons de neige et les humains partagent des points communs, conta-t-elle sans même le regarder. Chacun d'eux a sa forme de singularité qui les rendent uniques. Réunis, ils offrent un autre visage, les humains se réunissent en famille ou en communauté ; les flocons en paysages enneigés et les étoiles en constellations.

— Tout seul, on va vite et ensemble, on va plus loin, je suppose.

Il voulait se détacher de ce beau discours qui était propre à la personnalité d'Aurora et à sa perception des choses. Il ne pouvait pas nier qu'une histoire contée avec un décor aussi splendide s'avérait charmant.

— Il faut voir ce qui te lie à ce filleul, comme l'amour du texte ou la composition des illustrations. Et si ce n'est pas artistique, ça peut être une passion, celle des étoiles ou du surf. Et si cela ne va toujours pas, peut-être que vous aurez en commun des valeurs ou des histoires plus personnelles. On arrive toujours à créer du lien, c'est dénicher la bonne porte qui demande de la patience. Il n'est pas à exclure que rien vous reliera, on s'arrangera pour trouver à ton prodige un meilleur parrain de projet sans que cela remette en cause ta personne ou tes compétences.

C'était dit avec la simplicité d'un enfant que Marius se sentit presque gêné d'avoir oublié le bon sens – Aurora ne fit aucune remarque, elle était très contente d'échanger avec lui. Marius s'apaisa, la remerciant en silence.

— Autre chose te tracassait ? demanda-t-elle.

— Comment savoir si je prends la bonne route ? Est-ce qu'il osera m'avouer que je me plante ou va-t-il se dire qu'il est impossible de remettre en question l'ordre établi ?

Aurora le regarda avec beaucoup de gravité quand une idée vint éclairer son visage. Elle se dépêcha de ramener des feuilles de papiers qu'elle plia avec une vitesse déconcertante devant un Marius intrigué et perplexe.

— Vous pourriez installer une sorte de code de conduite qui servira à bâtir un chemin. Tu peux lui apporter beaucoup sur le plan des connaissances, du savoir-être, du réseau. Chaque pas sur cette voie que vous construirez est un pas dans la bonne direction, même en cas de rectification de trajectoire.

Elle lui remit tout un tas d'animaux pliés, tous liés aux constellations visibles depuis le ciel qu'elle relia l'un après l'autre en guirlande. Marius accepta avec un sourire franc le cadeau d'Aurora et avant de repartir dans sa tiny house, il promit à la jeune femme de revenir demain soir, pour apprendre à faire cette décoration.

— Je pourrais lui apprendre à confectionner cette guirlande pour notre première rencontre.

Aurora applaudit, ravie. Si toutes les craintes de Marius ne pouvaient être balayées en une conversation, il se sentait moins seul désormais.

Texte : juillet/août 2023

Constellations d'histoires (OS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant