Chapitre 7.3.

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Je relance la musique mise en pause. Alexis ne répond rien, ses yeux restent plantés dans les miens et patientent que les ultimes notes soient atteintes. J'éteins donc le dispositif.

« C'était la version de l'autre soir, n'est-ce pas ?

— En effet. J'ai demandé qu'elle soit captée pour pouvoir l'étudier.

— Vous connaissez par cœur les paroles... Vous continuez de m'impressionner, mot après mot, acte après acte.

— Promettez-moi de continuer à vous offrir à votre art sans réserve, sans que mes propos n'aient d'effet.

— Je ne vous demande pas de m'aimer. Pas encore. Ce n'est pas le bon moment, je suppose. Je continuerai, assurément. A vous aimer et à danser. Y compris, et surtout, sous votre baguette ».

Malgré ma grande inspiration, il m'est difficile de rester insensible. J'invite Alexis à me suivre et, la main sur l'interrupteur de la lumière, je ne parviens pas à me décider.

« Je ne suis pas le seul à être accessible.

— Pardon ?

— Si vous m'embrassez, aucun de vos mots ne prendra un sens différent. Je continuerai à attendre, avec respect ».

J'ai beau fermer les yeux, les rouvrir, rien ne change. Il a compris. Alors je n'ai plus aucune raison de me retenir. Débarrassons-nous avant leur naissance de tous les regrets. Ma main dans son cou, je dépose mes lèvres à mi-chemin entre le creux des siennes et sa joue. Ce n'est pas un baiser, c'est un entre-deux mal assumé.

Alexis rougit mais ne bouge pas. La sincérité n'exclut pas le respect. Nous n'avons plus dit un mot. A mon bureau, je lui ai simplement tendu ma carte de visite, sur laquelle j'ai griffonné, de nouveau, mon numéro et mon adresse électronique professionnels. Il est ensuite rentré à son studio, et moi à mon appartement.

Sur le chemin, je me suis arrêté pour acheter des friandises sucrées, pour mes futurs chocolats chauds. Des légumes aussi, un peu de viande. Tout ceci mijote dans une grande casserole trouvée dans les hauteurs d'un des meubles. L'odeur se répand dans l'appartement, sans dépasser le deuxième étage.

Au piano, je joue la ritournelle. Encore et encore, les notes associées à ces quelques mots. Ni regret ni remord, simplement une impression d'avoir été décalé. Ma fonction ne me permet pas d'agir ainsi. Alexis non plus, d'ailleurs. Il n'aurait pas dû. Mais il l'a fait. Alors, dans cette pièce isolée des regards et des sons, un secret est désormais bien gardé.

Pour me changer les idées avant que mon plat ne parvienne à température, j'écris des messages. A Allan pour lui indiquer que son enseignant est resté silencieux. A Petter pour lui raconter l'épisode du jour. A Ruben pour qu'il pense à préparer les partitions du ballet. A moi-même, parce que j'aime noter mes émotions.

Une seule réponse me revient, celle de mon frère.

Tu es connu pour écouter les œuvres comme personne. Tu as bien le droit d'écouter le cœur des autres et de te laisser aller. Je suis sûr que cet épisode sera bénéfique, à ce danseur comme à toi.

Étincelantes notes danoises (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant