Les jours qui ont suivi ont été hantés par Ezio Bosso. Ruben n'a eu de cesse de me remercier de lui avoir confié les rênes de l'orchestre, alors que ma décision n'était que la combinaison de ma propre inquiétude et de ses qualités. Quand il l'aura compris, il cessera sans doute d'être si reconnaissant.
Une fois rentré chez moi, le soir du concert, j'ai pleuré. Je n'étais pas triste, je n'étais pas malheureux, je n'étais pas en colère, pourtant. Je me suis senti mal, parce que ce compositeur mérite tellement plus. Il devrait être entendu tout autant que Mozart l'est. S'il le faut, je créerai un orchestre qui ne jouera que ses œuvres.
C'est sans doute pour cela que j'ai pleuré. J'avais besoin de décompresser, d'oublier cet échec, de dépasser l'obstacle émotionnel associé. Grâce à Ruben, le concert n'a pas été annulé, et il s'agit-là, en soi, d'une grande victoire. J'ai pleuré pour cette raison, parce qu'au fond, je n'ai pas tout perdu.
La fin d'année approchant, je prends la mesure du temps qui passe. J'ai dirigé la Résurrection il y a un an. Le Lac des Cygnes était avant l'été. J'ai renoué avec mes voyages discrets au fil des festivals d'été. Rudolph, Alexis et tous les autres n'ont su que j'étais parti pour mon périple qu'une fois arrivé sur place. Ils n'ont donc pas pu me suivre, comme d'habitude.
Seul Petter savait, évidemment. Je ne pouvais pas me permettre de lui mentir par omission. J'ai bien entendu continué d'échanger avec eux durant ces quelques semaines, Alexis et Johan ayant même été mes principaux partenaires de discussion. Pour autant, j'avais besoin de cette parenthèse étrange durant laquelle je ne suis qu'un spectateur.
Il va de soi que, parfois, quelques amateurs me reconnaissent. Je partage avec eux mes ressentis, mes humeurs, et ils me font part de leurs avis multiples sur mes propres prestations. Alors, en dépit d'un état physique bien réel, la solitude n'existe pas. Je suis du bon côté de la salle.
Le temps passe, donc. A tel point que mon voyage en Espagne approche. Alexis, les autres étoiles et Ashley préparent patiemment et consciencieusement ce déplacement. Que mon ballet me suive pour jouer les figurants dansants des opéras que je dirige est un plaisir que je ne parviens pas à dissimuler.
Pour remercier Johan de ses précieux conseils mais aussi pour lui annoncer que ma tournée espagnole approche, j'ai décidé de l'inviter à dîner à Kanalen, un restaurant danois d'inspiration française. Je me rapproche ainsi sans le dire de ma destination, tout en corroborant le constat du journaliste.
Pour une raison que j'ignore, j'ai décidé de retrouver une vieille veste de costume en velours bleu. Mon pantalon marine vient ainsi le compléter alors que j'opte pour une chemise à col mao, toute blanche. Mes bagues, tout ce dont j'ai besoin pour affronter la terrassante froideur, et me voici marchant.
Je ne prends pas de taxi, simplement le métro, pour deux arrêts. J'ai envie de me fondre dans une masse qui, à tout moment, peut me regarder du coin de l'œil. Tel est l'étrange possibilité que nous offre une célébrité limitée.
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Étincelantes notes danoises (BxB)
RomanceA peine trente-deux ans, Mathias Thomsen se voit propulsé à la tête du prestigieux Operaen de Copenhague. Chef d'orchestre passionné de Mahler, désormais directeur musical d'une maison musicale internationale, Mathias peut compter sur le soutien de...