Eadlyn

Le lendemain matin, je me réveille le corps endolori. Des bribes de notre nuit intense me reviennent en mémoire tandis que je me redresse dans le lit vide. Poussant un soupir, je me laisse retomber contre le matelas et attrape l'oreiller frais d'Aden, que je hume pour me souvenir de son odeur.

Jodie, Maisie et Lily font irruption dans la pièce. La première s'empresse d'ouvrir les rideaux faisant entrer le soleil.

Je râle la tête enfouie dans l'oreiller.

— Laissez-moi doooormiiiir.

— Je crains que cela ne soit pas possible, Mademoiselle, rit Jodie. Vous êtes attendue dans la grande salle à manger pour le petit-déjeuner avec Leurs Majestés et Son Altesse.

Sur ce, elle me tire du lit et m'entraîne jusqu'à la salle de bain. Lavage, coiffage, maquillage et habillage. A mon plus grand étonnement, ma tenue du jour se compose d'un haut blanc aux manches trompettes qui épouse parfaitement la forme de mon buste, d'un pantalon noir, d'une paire de bottes plates montantes et d'un long manteau épais cintré à la taille par une ceinture noire. Mes cheveux sont remontés en un élégant demi-chignon et mon visage paraît plus lumineux, presque sans traces de ma courte nuit.

Mes trois servantes sourient, satisfaites du résultat. Je les remercie puis, prenant une profontde inspiration, quitte la chambre sous leurs paroles d'encouragement. Mon cœur bat la chamade tandis que je prends la direction de la salle à manger. Gardes et domestiques me saluent au passage, et quelques courtisans matinaux me lancent des regards curieux. Leurs chuchotements me suivent, mais je les ignore.

Lorsque j'entre dans la salle à manger, le Roi, la Reine et Aden sont déjà assis. Je me fends d'une révérence. La Reine m'adresse un sourire de courtoisie.

— Soyez la bienvenue. (Elle se lève et me rejoint, scrutatrice. Parfaitement immobile, les bras le long du corps et le visage aussi calme que possible, je la laisse m'examiner sous toutes les coutures, comme si j'étais un morceau de bétail.) À partir d'aujourd'hui, vous répondrez au nom d'Amanda, finit-elle par ajouter. (Je fronce les sourcils, confuse.) Mon fils vous expliquera.

Sur ce, elle retourne s'asseoir. J'hésite un instant avant de l'imiter. Voyant les couverts disposés devant la chaise face à Aden, je m'y installe. L'intéressé m'offre un sourire discret auquel je réponds timidement.

Serviteurs et majordomes s'activent autour de nous. Mon estomac se met à gargouiller tandis que les odeurs de café, de jus d'orange, de chocolat onctueux, de fruits frais, de crêpes, de pancakes, de sirop d'érable ou encore d'omelette au bacon, de saucisse et de légumes cuits envahissent mes sens. D'un geste le Roi nous invite à commencer le repas. J'attrape mes couverts faisant bien attention à ne pas me ruer sur la nourriture.

— Il va falloir que nous vous remplumions un peu, autrement, nous ne pourrons jamais attendre d'héritiers en bonne santé, remarque la Reine.

Il s'en faut de peu pour que je ne recrache ma gorgée de café.

— Mère, voyons, souffle Aden

L'intéressée lève un regard bienveillant vers lui :

Rydych chi'n gwybod fy mod i'n iawn, Yn ddiau. Bydd hi'n eiddo i chi. (Un petit sourire conspirateur étire le coin de ses lèvres :) Si ce n'est déjà le cas.

*

À la fin du repas, Aden et moi prenons congé de ses parents. À peine sortis de la salle, j'expire longuement prenant conscience de la tension accumulée durant l'interrogatoire de la Reine sur mon éducation, ainsi que ses commentaires quelque peu hautains sur les points que nous devrons retravailler pour que je puisse devenir non seulement une véritable femme de l'aristocratie, qui plus est une princesse.

Aden glisse sa main dans la mienne, une lueur rieuse dans les yeux.

— Retournons-nous à la bibliothèque ? je demande dans l'espoir d'une bonne distraction.

— Pas tout de suite. J'ai une réunion importante avec les Conseillers Royaux qui risque de durer une bonne partie de la journée. Quant à vous, il y a un entraînement qui vous attend.

Nous franchissons la grande baie vitrée donnant sur les jardins, où les Amis de la Nature se sont déjà mis au travail sous les directives de Maestro Sianni, malgré la neige et le froid mordant. Celui-ci nous rejoint sous le regard des plus curieux.

— Pause ! ordonne-t-il

Il emboite le pas à Aden. Je m'apprête à les suivre, mais je suis interrompue par une main qui se referme sur mon poignet. Je me retourne et me retrouve nez à nez avec une jeune fille à peine plus petite que moi, aux longs cheveux roux attachés en un chignon sur le sommet de son crâne et au visage parsemé de taches de rousseur. Deux fossettes se creusent au coin de ses lèvres, étirées en un sourire pétillant.

— Viens jouer au ballon, dit-elle ses yeux en forme d'amande d'une belle couleur noisette plongés dans les miens. (Sans me laisser le temps de répondre, elle m'entraîne à sa suite). Au fait, je m'appelle Abigail.

Nous nous mettons à courir rapidement, suivies par d'autres Amis de la Nature, garçons et filles réunis. Nos cris et nos rires emplissent l'air tandis que nous nous laissons aller à notre jeu. Abigail me lance la balle, que je m'empresse de passer à une autre jeune fille, grande, aux yeux verts presque transparents et aux cheveux ondulés d'un blond cendré, attachés en une queue-de-cheval haute. Elle répond au nom de Gabrielle.

Nous passons une bonne demi-heure à courir dans tous les sens. Ce n'est qu'une fois que Maestro Sianni nous rejoint que nous nous arrêtons pour reprendre notre souffle. Nous nous asseyons sur le sol enneigé, le corps en feu. Je jette un coup d'œil furtif par-dessus mon épaule, juste à temps pour voir Aden disparaître à l'intérieur. La nervosité s'empare soudainement de moi à l'idée que je vais passer la matinée, voire la journée, en compagnie de jeunes gens dont je ne connais rien.

Maestro Sianni se gratte la gorge attirant mon attention :

— Vous vous êtes déjà battue, kiddo ? (Je secoue négativement la tête. Il marmonne quelque chose dans sa barbe, tout en se tournant face à la petite assemblée devant nous.) Abigail, Gabrielle. Vous allez continuer de prendre cette jeune Dame sous votre aile. Les autres, remettez-vous avec les mêmes partenaires. Maintenant !

Tous bondissent sur leurs jambes. Je les observe se mettre en place tandis que notre maître de combat m'entraîne dans un coin du jardin avec mes deux camarades. Contrairement aux apparences, ces dernières ne me ménagent pas. En l'espace de seulement deux heures, je me retrouve projetée au sol par des coups de pied avant, coups de pied arrière, coups de pied latéral, voire de rafales, finissant par un magnifique roulé-boulé sur moi-même.

Quant à elles, rien. Pas la moindre petite étincelle d'un quelconque don chez moi, en dehors de celui de manger la poussière et poser des questions. L'avantage, c'est que malgré les courbatures et les muscles endoloris, j'en ressors avec de nouvelles connaissances sur les Amis de la Nature, leurs origines et leurs pouvoirs.

Maestro Sianni m'offre sa main sur laquelle je m'appuie avec joie :

— Demain matin, huit heures tapantes.

Il me donne une tape sur l'épaule puis, après avoir donné la même instruction au reste du groupe, se retire pour nous laisser entre nous. Je le suis du regard jusqu'au pavillon, au fond des jardins, à l'intérieur duquel il disparaît. Le brouhaha des rires et des conversations résonne autour de moi. Abigail se place à mes côtés, Gabrielle non loin.

— Nous allons prendre le thé tous ensemble avant nos cours plus orientés sur la théorie. Tu veux te joindre à nous ? me propose-t-elle.

Je tourne la tête en direction du palais. Aucun signe, ni aucune nouvelle d'Aden. Je suppose qu'il n'a pas encore terminé.

Prenant une inspiration, j'acquiesce tout sourire :

— Avec plaisir.

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Le Royaume Perdu - SLOW UPDATEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant