Prologue

556 25 25
                                    

L'homme grogna sous le poids du tonneau qu'il faisait rouler devant lui. Il aurait pu confier la tâche à quelqu'un d'autre mais il tenait à le faire lui-même. Chaque mois, depuis une dizaine d'années, il roulait un tonneau dans les souterrains du château pour en déverser le contenu dans le lac servant de réserve au palais mais également à Kêrbenn, la capitale du royaume. C'était son fardeau, il était contraint de réparer les erreurs de son père pour qu'elles ne puissent plus se reproduire. Pour cela il avait mis en place une stratégie sans faille.

Chaque mois, il versait cette potion dans la source cachée dans les profondeurs du palais. Cette potion permettait aux humains de ne pas entrer en contact avec la magie. La magie était contre nature pour les humains et n'attirait que des problèmes. Son propre père avait perdu la tête dans sa quête pour devenir toujours plus puissant et développer sa magie. Mais lui, Aodren, avait mis un terme à tout cela. Le royaume était désormais en paix, loin de toute magie.

Arrivé au bord de l'éperon rocheux surplombant le lac, il débouchonna le tonneau et laissa le liquide noir se déverser dans le lac, vingt mètres plus bas.
Ses enfants allaient naître dans un monde libéré de toute magie et de toutes les folies que cela impliquait. Il se l'était promis.

—Votre Majesté !

L'homme se retourna. Falladenn, son plus proche conseiller, se tenait à l'entrée de la caverne, vêtu de son habituelle cape noire. Pour une fois sa capuche ne recouvrait pas sa tête, révélant un visage émacié et des yeux d'un bleu très pâle. Ses profondes cernes brunes et ses cheveux filasses, qu'il laissait pousser comme pour compenser la masse par la longueur, complétait son air maladif. Il était essoufflé, il avait dû courir pour venir chercher le roi, cela ne pouvait présager que d'une seule chose.

—Le travail a commencé, Votre Majesté.

Des larmes montèrent brusquement aux yeux du roi. Il rit de sa propre émotivité. Lui qui n'avait pas cillé devant le cadavre de son propre père, voilà qu'il avait soudain la larme à l'œil.

—Alors allons-y mon bon Falladenn ! Allons accueillir mon enfant à son arrivée en ce monde !
Laissant le tonneau là, il rejoignit le conseiller qui avait déjà remis en place sa lourde capuche et ils quittèrent ensemble les souterrains du château.

Un cri déchira la nuit. Le Roi faisait les cent pas dans le couloir. Les cris provenant de la chambre à coucher de la reine lui étaient insupportables. Elle souffrait depuis plusieurs heures déjà et il ne pouvait rien y faire. Lui. Lui, qui était né avec le pouvoir de guérison, ne pouvait rien faire pour aider sa femme à mettre au monde leur enfant puisqu'il avait choisi de renoncer à la magie. Il n'en possédait plus une goutte, comme tous les habitants de son royaume.
Un nouveau cri déchira la nuit puis se brisa. Un silence pesant s'installa puis des braillements de nouveau né se firent entendre. N'y tenant plus, le roi fit irruption dans la chambre, abandonnant Falladenn dans le couloir.

L'atmosphère de la chambre était lourde et étouffante, une des jeunes domestiques de la reine s'approcha de lui pour lui déposer un paquet de linge dans les bras. Le paquet de linge remua dans ses bras.
—Voici votre première fille, votre grâce.
—Première ?
À contrecœur, il baissa les yeux vers le bébé et oublia l'espace d'un instant pourquoi il s'était précipité dans la pièce. En cet instant, tout son univers se résumait au petit être qu'il tenait dans ses bras.
—Vous avez eu des jumelles, votre grâce.
Le roi releva la tête et regarda l'accoucheuse avec étonnement.
—Des jumelles ? Merveilleux !
Il retourna son attention vers le bébé blotti dans ses bras.
—Jûna. Ça lui lui irait bien comme prénom, qu'en penses-tu ma chérie ? s'enquit-il en s'approchant du lit.
La femme de chambre s'interposa entre lui et le lit.
—Nous n'avons rien pu faire, elle nous a ordonné de sauver les petites.

Emglev : La prophétie du retourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant