Les yeux fermés, les paumes plaquées sur les oreilles, je tentais de faire disparaitre cet interminable silence. Il ne voulait jamais me laisser tranquille, pas une seule seconde, et ce depuis. Depuis qu'ils étaient morts, plus rien n'avait de son. Les voitures que j'observais s'enchaîner dans les rues, les enfants qui riaient à gorge déployée sur le trottoir, la pluie que je voyais marteler les vitres ; plus rien de tout ça ne faisait de bruit. Je savais qu'ils étaient puisque je les distinguais parfois à travers le flou de ma vision dû au manque de sommeil, mais mes paupières closes, je les oubliais facilement.
C'est pourquoi quand la musique que j'avais lancée à fond s'arrêta, je ne m'en rendis pas immédiatement compte. Elle non plus n'avait plus de son. Je levais les yeux sans décoller mes paumes de mes oreilles, et je la vis devant moi. Quand l'avais vu pour la dernière fois ? Ce matin, peut être, ou bien hier soir. Je perdais la notion du temps, l'aube et le crépuscule se confondaient. Sans sommeil, tout se suivait, se mélangeait jusqu'à ne faire plus qu'un. Ses traits aussi commencèrent à se mêler au souvenirs de ceux de sa mère. Morte. Les larmes irriguèrent le fleuve sec de mes yeux.
— Baisse le son.
Son ton sec me fit reprendre conscience de où j'étais, de qui j'étais, et du rôle que j'étais censé accomplir. Trois mois après son installation dans mon appartement sans vie, je n'avais rempli de mon rôle de tuteur que la tâche d'être présent. À demi présent serait plus exact, puisque je passais des jours et des nuits dans la même position, à peine conscient de sa présence. Elle quittait l'appartement tôt le matin pour n'y revenir qu'en soirée, pour me retrouver assis comme elle m'avait quitté. Je crois qu'elle va au collège, la journée. Je ne sais même pas. Je suis tellement perdu que je ne suis même pas sûr de m'en vouloir de l'ignorer.
Je n'avais pas réagi à son semblant d'ordre, alors elle soupira et continua, plus doucement.
— S'il te plaît.
Je frissonnais et déplaçais finalement mes mains, pour saisir mon téléphone, sur lequel je coupais la musique. Mes doigts s'enroulèrent rapidement autour de mes bras, que je frictionnais. La porte claqua, et je me retrouvais à nouveau aussi seul que je l'étais toujours. Elle était partie.
La nuit était tombée depuis bien longtemps. Je me souviens vaguement avoir été prendre une douche, la première de la semaine. J'étais longtemps resté debout à frissonner alors que l'eau gelée dévalait la piste de mon dos. Je n'avais pas eu l'énergie d'en changer la température.
Habillé d'un pull bien trop large et d'une écharpe en opposition à mes cheveux trempés, je refermais lentement la porte à ma suite, après un regard à la pendule. Il était minuit passé, et la Lune était déjà haute dans le ciel, étincelante. J'appelais l'ascenseur et l'attendis un instant, avec pour seul compagnie ma respiration sifflante dans le silence de l'immeuble endormi. Les portes de fer s'ouvrirent sans un grincement, et le vide de la boîte me sourit. J'entrai et croisais immédiatement mon regard dans le haut miroir. De longues mèches brunes dégoulinant sur un visage émacié, aux yeux sans vie. Les cernes de l'homme ressortaient méchamment sur sa peau trop pâle. J'étais cet homme.
Je ne me reconnaissais plus. Comme mes pensées, mon corps pourrissait peu à peu, en manque d'activité, de nourriture, et de lumière lumière du jour. Je ne sortais que la nuit, n'ayant envie que de retrouver la Lune.
Je me détournais de la glace en espérant me débarrasser de la vision que je venais d'avoir, mais mon regard tomba à nouveau dans le mien, qui se reflétait dans les parois immaculées. J'en eus le souffle coupé. J'étais partout. Sans que j'ai à y réfléchir, je martelais le bouton indiquant le rez-de-chaussée, et, une éternité plus tard, le mécanisme de l'ascenseur se mit en marche. Je fermais enfin les yeux, tentant de calmer les battements de mon cœur. J'aurais mieux fait de prendre les escaliers, comme je le faisais habituellement.
Les portes coulissèrent à nouveau, pour dévoiler l'entrée de l'immeuble cette fois-ci. Je traversais le grand hall en évitant un autre miroir.
Après quelques pas pressés sur le trottoir, je finis par ralentir et respirer, enfin. Là-haut, entourée de sa troupe d'étoile, elle était là, comme presque chaque soir. Son doux regard posé sur mon corps frêle me calma et me permit de longer lentement la rangée d'immeubles qu'était ma rue, pour m'arrêter sous l'abri bus, sans la lâcher du regard. Elle était très belle. Mes yeux ne se laisseraient jamais de sa brillance lointaine, j'en étais certain. Je ne l'oublierai jamais. Elle est la seule que je ressens.
Les coudes solidement ancrés sur mes cuisses trop minces cachées d'un jean trop large, je ne la quittais pas du regard. Je profitais de chaque seconde de sa beauté. Sans elles, les journées étaient longues. Je m'étais allongé pour l'observer à travers le toit de vers. Je n'aimais pas le soleil, il souriait trop.
Une voiture passa. Je ne la remarquais qu'à cause de ses phares qui m'éblouirent. Je ne l'avais pas entendu. Elle était silencieuse, comme tout. Mes yeux étaient brûlants. Depuis combien de temps je n'avais pas dormi, je l'ignorais. Dans le miroir, un peu plus tôt, ils étaient injectés de sang.
Ce soir-là, je m'étais endormi sous le regard protecteur de cet astre blanchâtre. Quelques heures plus tard, avant même les premières lueurs du soleil, je m'étais éveillé, couvert d'une couverture au dégradé allant du rouge au jaune. Comme un coucher de soleil.
J'avais décidé de la rapporter dans mon appartement. Je l'avais pliée et déposée sur un lit inutilisé, censé être mien. Peut-être découvrirai-je le propriétaire du coucher de soleil la nuit prochaine. Peut-être.
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SESAME | Minsung
FanfictionJ'aimais dire qu'après la mort de ses parents, j'avais aidé ma nièce à se relever et à vivre à nouveau. J'aimais le répéter jusqu'à le croire. Pourtant, ce n'était qu'un pathétique mensonge. J'avais fui, pour au final revenir. Je n'aurais pas dû. El...