7 • ''Je vous aime''

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Les mots sont compliqués. Ils permettent à l'être humain d'extérioriser ses émotions, mais déjà faut-il parvenir à trouver les bons. Depuis toujours, j'ai été incapable d'exprimer autres émotions que du ressentiment et de la colère. Tout l'amour que j'avais pour mes proches, je ne le leur ai jamais vraiment dit. J'ai gardé ça enfoui au fin fond de mon cœur, pensant que l'en extirper me rendrait faible. Mais maintenant qu'ils sont morts, je ne peux que regretter d'avoir été si lâche.

Je connaissais ma belle-soeur depuis des années. J'avais beaucoup d'estime pour elle. Elle qui avait vécu toute sa vie en Angleterre, elle s'était adaptée à la culture de mon frère par amour. Les actes sont plus fort que les mots, dit-on, mais sans les mots, l'amour n'est vrai qu'à moitié.

J'avais beau ne pas le dire, je le montrais souvent, moi aussi. J'aimais inviter ma famille à dîner, je les appelais très souvent, et nous étions heureux. Je pensais que c'était suffisant. Que je n'avais pas besoin de dire les choses pour qu'elles soient vraies. Ma famille s'en rendait compte, j'en suis sûr. Mais Jane, nous avions beau nous être connus pendant une quinzaine d'années, était-ce suffisant pour me comprendre ?

Je m'en veux. Et maintenant, il est bien trop tard pour revenir en arrière, mais il est encore temps de rattraper le temps perdu avec les vivants. Je posais mon regard sur Hyunjin, qui m'observait d'un air confus. Ses yeux brillaient de questions. Lui trouvait toujours les mots, mais aujourd'hui, il semblait avoir perdu ce don. Il finit par dire, doucement :

— Qu'est-ce qu'il s'est passé, Jisung ?

Je frissonnais et baissais les yeux sur mes doigts qui froissaient le foulard argenté de Jane. Je n'étais pas près.

— Je ne peux pas en parler, je suis désolé. Je n'arriverai même pas à te dire qu'ils sont... Enfin, tu le sais déjà.

Il se pencha en avant et saisit mes deux mains, les éloignant du tissu plein de souvenirs. Ses yeux sombres s'ancrèrent dans les miens.

— Je comprends. Ça va aller.

Je lui offris un petit sourire forcé, et il se leva lentement, l'air à demi satisfait de cette réponse.

— Je te laisse. Tu sais où me trouver si besoin.

Je hochais la tête, et cette fois, il quitta mon bureau sans un regard en arrière. Je restais seul, les yeux fixés sur les hauts buildings qui se profilaient au loin. Une larme froide coula le long de ma joue, et s'écrasa sur le parquet sombre. La minuscule flaque refléta immédiatement les néons jaunes, et je me levais brusquement. Sur mon bureau, la photo d'une famille partie en fumée était déposée. Je carressais le verre avec un tendre sourire à travers mes larmes amères. Sans un regret, mon bras se leva, et je jetais le cadre de toutes mes forces. Il explosa contre la porte, et mille morceaux de verre et d'or jonchèrent le sol.

Assis sur mes talons, le front reposant contre l'angle de mon bureau, je tremblais sans pouvoir m'arrêter. Venir ici avait remué bien plus de souvenirs que je le craignais. J'avais tout vécu en ces lieux. Des moments heureux à ceux qui furent malheureux, ils ont eu lieu dans ce restaurant. Il y a eu des disputes, des cris et des pleurs ; des rires, des embrassades et des discussions jusqu'à tard dans la nuit. Nous avons bu de nombreux verres après de nombreuses journées difficiles, assis sur les canapés colorés. Parfois, il y avait ma famille, et chaque fois, il y avait mes amis.

Mon téléphone sonna, m'interrompant dans mes sombres pensées. Je tentais de l'ignorer, mais la sonnerie se répéta inlassablement, et je finis par décrocher.

Je fermais les yeux lentement, pour les rouvrir une seconde plus tard, et m'enfuir en vitesse. La porte de mon bureau claqua, je ne pris même pas la peine de la refermer. Je quittais le restaurant par la porte de service, que je n'utilisais jamais vraiment. Je ne croisais personne, à part un serveur que je ne connaissais pas, et qui ne sembla pas me reconnaître non plus. Sur le trottoir, je me frayais un chemin à travers tous ces gens, bien trop pressés à cette heure. J'arrivais à mon appartement le front humide de transpiration, malgré la fraîcheur matinale.

Une quinzaine de minutes plus tard, la portière de ma voiture s'ouvrit, me sortant de ma réflexion. Jia s'assit à la place passager sans un mot, puis balança son sac sur la banquette arrière. Je démarrai en soupirant, et pris la parole.

— La dame qui m'a appelé m'a dit que tu ne te sentais pas bien. Qu'est-ce qu'il se passe ?

Elle haussa les épaules, l'air exaspéré par ma question.

— Rien.

— Rien ? Alors pourquoi je dois venir te chercher s'il n'y a rien ?

Le visage tourné vers la ville, elle ne répondit pas, mais je remarquais ses doigts qui trituraient sa veste.

— Jia, j'appelais, plus doucement. Je suis désolé, je... Je me suis inquiété.

— J'ai pas envie d'en parler.

Je hochais la tête, même si elle ne me regardait pas. Sa réponse n'était pas brusque, elle ressemblait plutôt à une supplication de ne pas en demander plus.

— Ok. C'est pas grave.

Ce rare semblant de discussion fut suivi par un long silence, seulement troublé par la radio qui jouait du jazz tout bas. J'esquissais un léger sourire, parce que ça allait bien, ou du moins pas trop mal.

— Ça s'est bien passé, au restaurant ?

Surpris, je me tournais vers ma nièce, qui m'observait du coin de l'oeil. Je souris un peu plus.

— Moyen. Comment tu sais que j'y étais ?

— Hyunjin m'a envoyé un message.

— Et comment tu as pu le voir si tu étais en cours ?

Elle haussa les épaules, l'air amusé. Ça faisait longtemps.

— Il te disait quoi, dans son message ?

— Que t'avais l'air mal.

— C'est tout ?

Elle hocha la tête, et je haussai un sourcil. Ça n'était clairement pas tout, mais peu m'importait.

SESAME | MinsungOù les histoires vivent. Découvrez maintenant