Le soleil était à peine levé que j'arpentais déjà les rues de Séoul, un but bien précis en tête. J'avais beau savoir où j'allais, je n'étais pas sûr de réellement vouloir y aller. Étais-je prêt à remettre les pieds dans la salle bondée, pour afficher un beau sourire et accepter les embrassades de mes collègues ? Étais-je prêt à supporter leurs condoléances, qu'ils exprimeront les yeux baissés, l'air désolé alors qu'ils n'y penseraient plus quelques secondes plus tard ? Étais-je prêt à recommencer à vivre ?
Car j'en étais conscient. Y retourner aujourd'hui signifiait y retourner demain, après-demain, et ne jamais m'arrêter. Je ne pourrais pas sortir pour ne plus revenir, car ils me supplieront tous de repasser le lendemain. Ils voudront que je reprenne les rennes. Ou pas.
Peut-être sont-ils tous ravis de mon absence, peut-être en profitent-ils pour gérer le restaurant à leur manière. Peut-être que je ne leur manque pas. Peut-être que je ferai mieux de ne pas revenir.
Pourtant, c'est mon restaurant. Je l'ai fondé déjà quatre ans plus tôt, mon frère m'avait aidé financièrement. Mais l'entreprise avait pris une ampleur immense, et chaque jour nous affichons complet, aussi je l'avais immédiatement remboursé. La salle était avant simple, seulement décorée de quelques cadres achetés à une brocante, et de quelques fleurs bien sûr. Maintenant, le floral restaurant porte encore mieux son nom.
Je ne crois pas faire demi-tour. J'ai quitté mon appartement sans réfléchir, et maintenant, c'est trop tard. Je n'ai plus envie d'être seul. Plus envie de passer des jours entiers à observer le néant. J'ai envie que tout redevienne comme avant, et pourtant, c'est impossible. Ils sont morts, alors plus rien ne sera jamais comme ça l'a été. Ils ne rentreront plus jamais dans mon bureau sans toquer pour me serrer dans leur bras, et on ne discutera plus jamais de leur trajet, de leur travail, de l'école de Jia. Le trajet s'est mal passé, ils sont morts, ils n'ont plus de travail, ils sont morts. Ils ne me parlent plus de Jia, je suis mort.
Si je retourne au restaurant, ça ne sera plus comme avant. Ça le sera en partie, bien sûr, mais jamais plus entièrement. Rien ne sera jamais plus entièrement comme ça l'était. Le deuil détruit tout sur son passage, le bonheur, les sourires et les regards tendres. Il n'y a plus que des pleurs, des cris et des disputes. On se hurle des mots qu'on ne pense pas nous même, mais que la mort nous a chuchoté à l'oreille. On s'ignore ; pas parce qu'on se déteste, mais simplement parce qu'on la déteste, elle. Et puis on les perd tous, pas seulement les morts, mais aussi les vivants. À l'enterrement, on ne s'adresse que des regards colériques, alors que tout ce que l'on souhaite, c'est pleurer ensemble pour un chagrin commun. Le deuil sépare tous ceux qui sont concernés.
La mort n'a pas de bon côté. En tout cas, moi, je n'en trouve pas. Je ne vois que la douleur qu'elle apporte. Avant Jia et moi, nous nous entendions à merveille. Il y a quelques années, longtemps avant le deuil, je l'avais aidée à monter le panier de basket que je lui avais offert à Noël. Elle m'avait jeté la balle, et en sautant pour l'attraper, j'avais trébuché et m'étais effondré dans l'herbe du jardin de mes parents. Nous avions ris à en pleurer, et à chaque Noël, elle ressortait cette anecdote, et je faisais semblant de bouder. Comme les temps changent... Maintenant que la mort nous a rejoint, nous ne nous parlons pas, ne nous comprenons plus. Les bons moments sont ignorés, ou même oubliés, comme si notre vie se résumait au deuil. Il n'y a plus d'avant, pas d'après, seulement cet instant tragique qui semble toujours duré. Tant que la souffrance dure toujours, la mort ne quitte jamais nos côtés.
Mais je crois que je ne la supporte plus. Il faut qu'elle me laisse respirer. Je ne veux plus la sentir penchée par-dessus mon épaule, je ne veux plus non plus qu'elle essuie les larmes qu'elle a causées. Car tout est sa faute. Sa mission morbide est achevée, alors je ne comprends pas pourquoi elle reste à nous torturer. Je ne comprends pas.
Les larmes menaçaient de déborder du lit de mes yeux, aussi je ne remarquais pas immédiatement être arrivé à destination. Devant moi s'affichait une enseigne bleu ciel, que je ne reconnus pas immédiatement. Je n'étais pas venu depuis longtemps. Après une inspiration rapide, je poussais la porte du restaurant, qui résista. D'après ma montre, il était à peine six heures du matin. Mes clés tintèrent quand je les extirpai de ma poche. Heureusement que je les avais gardés sur mon trousseau principal.
Je poussais la porte et pris une inspiration tremblante. La salle était vide, mais j'entendais du bruit par la porte ouverte de la cuisine. Sans me faire remarquer, je traversais la salle et montais lentement les marchés qui menaient au bureau, à l'étage. Ma main glissa le long de la rambarde dorée, l'escalier serpentait jusqu'à ce que le restaurant disparaisse de ma vue, et que, face à moi, un long couloir s'étende. Il était parfaitement rectiligne, le sol était recouvert d'un tapis bleu roi sur toute sa longueur. Sur les murs étaient accrochés des peintures aux cadres dorés, ainsi que des photos encadrées. Je m'arrêtais face à l'une d'entre elle, que je connaissais bien. On m'y voyait, tout sourire, bras-dessus bras-dessous avec ma famille. À ma gauche, mes parents, et à ma droite, mon frère et sa femme. Nous étions dos à la porte du restaurant qui était sur le point d'ouvrir ses portes pour la première fois.
Sans une larme, je me saisis du cadre, que j'arrachais du mur, à défaut de pouvoir la décrocher plus délicatement. Sans un regard pour le cadre que je tenais, les doigts serrés, je restais figé là, observant le trou que je venais de créer dans la peinture beige. Je ne me rendis pas immédiatement compte qu'une porte venait de s'ouvrir, plus loin dans le couloir.
— Jisung ?
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SESAME | Minsung
FanficJ'aimais dire qu'après la mort de ses parents, j'avais aidé ma nièce à se relever et à vivre à nouveau. J'aimais le répéter jusqu'à le croire. Pourtant, ce n'était qu'un pathétique mensonge. J'avais fui, pour au final revenir. Je n'aurais pas dû. El...