8 • Le cri

704 72 2
                                    

Sans vraiment m'en rendre compte, mes paupières s'étaient fermées. Je ne dormais pas, simplement, je reposais mes yeux brûlants de fatigue. À travers ma peau, les lumières du plafond parvenaient quand même à m'atteindre. Le grincement d'une chaise me fit rouvrir les yeux.

— Bonjour, Monsieur Han.

Je me levais rapidement pour m'incliner devant un professeur que je n'avais même pas eu le temps de voir. Quand je fus assis, mes yeux tombèrent sur un homme étonnamment jeune. Ses cheveux blonds encadraient un visage fin, aux yeux méfiants. Il se tenait bien droit, et ses sourcils se froncèrent imperceptiblement alors qu'il m'observait. Mal à l'aise, je me passais la main dans les cheveux. Il détourna les yeux.

— Si je vous ai convoqué aujourd'hui, c'est parce qu'hier, Jia n'était pas vraiment malade.

Je hochais la tête. Je m'en étais bien rendu compte.

— Pendant mon cours, un incident est survenu. Un de ses camarades a fait un commentaire désobligeant sur le fait que ses parents ne soient plus là.

Son regard insistant me poussa à baisser les yeux sur mes mains qui reposaient sur mes cuisses. Mes doigts trop fins les tapotaient rapidement, signe de mon malaise. À chaque mouvement, les os qui ressortaient créaient une ombre monstrueuse sur ma peau à la pâleur maladive. Je pris à cet instant conscience de son blanc inquiétant, et de mes veines qui paraissaient beaucoup trop bleues. Mes articulations étaient violettes, de beaux hématomes s'étaient formés suite à une crise qui avait fini par me faire frapper un mur.

Le professeur, dont j'ignorais le nom puisqu'il n'avait même pas daigné se présenter, prit une rapide inspiration, je le coupais avant qu'il ne se mette à parler.

— ...La situation l'affecte à ce point ?

Ma voix était faible, mais je n'en avais pas grand chose à faire. Puisque plus le temps passait, plus je me rendais compte que j'avais été négligent, trop obnubilé par une peine que je pensais être le seul à ressentir.

— Beaucoup plus que vous n'ayez l'air de le croire.

— Elle... Elle vous parle souvent de tout ça ?

Il soupira.

— Elle ne l'a jamais fait. Je l'ai compris, au fur et à mesure. C'est assez visible.

Une larme coula le long de ma joue, je l'essuyai rapidement. Pleurer devant cet homme que je connaissais à peine me gênait peu, mais j'avais vraiment honte de n'avoir rien vu.

Dehors, le froid était brûlant, il m'aida à reprendre mes esprits. Comment mes pensées pouvaient-elles s'avérer être si fausses, et comment pouvais-je ne m'en rendre compte qu'à la dernière seconde ? Avant d'entrer dans ce bureau, j'étais pourtant sûr de moi. Je croyais qu'enfin, Jia et moi nous étions rapprochés. Le malheur avait trop longtemps vécu en moi, aussi, à chaque instant de bonheur, je pensais que c'en était fini de lui. Mais ce n'est pas si facile. Le deuil prend du temps, il y a des hauts, des fois, et des bas, souvent.

— Je ne l'ai pas empêchée de partir, même si je savais qu'elle n'avait rien de ce qu'elle prétendait.

Je reniflais discrètement, la tête toujours baissée.

— Je vous remercie.

Quand je relevais la tête, mon regard rencontra le sien, sombre et profond. Sans même le connaître, je pouvais assurer qu'il avait beaucoup souffert, et qu'il souffrait certainement encore. Il y avait dans ses yeux ce malheur qui brûlait à l'intérieur, et ces cris qui suppliaient de l'aider.

Il ne l'a pas dit, ne l'a certainement pas pensé non plus, pourtant, j'avais entendu ses supplications. Ce soir-là, recroquevillé sur le banc de l'arrêt de bus, seul dans une nuit sans lune, je pensais encore à lui. J'aurai voulu savoir ce qui l'avait brisé, comprendre pourquoi ses yeux hurlaient ainsi. J'aurai aimé apprendre pourquoi lui aussi souffrait. Peut-être était-ce pour la même raison que moi, pensais-je, car encore trop secoué par la mort, je ne pouvais pas concevoir qu'il y ait pire douleur. Accepter que d'autres souffrent autant ou même plus que moi m'était impossible. L'égoïsme du malheur me prenait encore aux tripes, souvent. Je voyais un enfant qui pleurait parce que ses parents refusaient de lui acheter une babiole, et je pensais qu'il n'a pas de raison valable de pleurer, lui, puisqu'il n'avait perdu personne. J'étais égoïste. Je suis égoïste, et je le serai encore longtemps. À moi de décider combien de temps cela signifiait.

________________

Hello !

Je tenais vraiment à m'excuser de ne pas avoir posté la semaine dernière, mais j'ai eu beaucoup de mal à finir ce chapitre puisque j'avais beaucoup de travail. Bref, normalement, les chapitres suivants seront postés en temps et en heure, mais si ce n'est pas le cas, c'est simplement parce que je préfère écrire quand j'en ai vraiment la motivation, au risque de trop forcer et d'ensuite ne plus avoir envie d'écrire.

Prenez soin de vous <3

K.

SESAME | MinsungOù les histoires vivent. Découvrez maintenant