Je suis persuadée, au plus profond de moi-même, qu'il y a des gens qui ne se posent pas toutes ces questions. Qu'il y a des gens qui passent les jours, les mois et même les années sans qu'une seule des interrogations qui me hantent chaque jour ne leur effleure ne serait-ce que l'esprit. Parce qu'il y a des gens qui savent où ils vont et qui n'ont tout simplement pas besoin de tout remettre en question, contrairement à moi. Je pense notamment à Jeannine, qui a toujours dit qu'elle serait professeure des écoles et qui aujourd'hui vit sa meilleure vie car Jeannine a réussie à avoir tout ce qu'elle désirait : Une belle carrière, une personne à ses côtés, peut-être même un chat. D'ailleurs, je ne serais même pas surprise si Jeannine prévoyait d'être maman car n'est-ce pas tout ce dont la société pousse actuellement les femmes à désirer ? Ne sommes-nous pas des femmes accomplies à partir du moment où nous passons du statut d'épouse au statut sacro-saint de «mère» ?
Mais moi, comme tant d'autres, je n'en veux pas...de ces choses criardes. Je ne veux pas de mini-moi et quand on me demande pourquoi alors je me contente de hausser les épaules.
Personne ne pourrait comprendre ma réponse si je venais à la donner et en même temps, il y a des centaines de milliers de personnes qui pourrait la comprendre car c'est d'une logique implacable.
Le monde se meurt.
Les gens se meurent.
La société telle que nous l'avons connue s'effondre chaque jour un peu plus.
Tout comme mon compte bancaire d'ailleurs où à chaque note de course, je me demande si au prochain drive, je ne vais tout simplement pas vendre un rein.
Quel genre d'être humain je serais alors pour en pousser un autre vers une direction que juge catastrophique ? Il y a des événements qui, chaque jour aux infos, me font dire «Demain, nous allons tous mourir» mais étrangement, le moment ne semble pas venir. En outre, je ne saurais m'en occuper. Je peine déjà à m'occuper de moi-même. Je peine à joindre les deux bouts, je peine à réaliser mes rêves, je peine à faire ce que je veux de ma vie, je peine à assouvir mes propres besoins alors pourquoi infliger ça à une autre personne ? Cela serait purement et simplement cruel.
En outre, je suis bien trop fracassée de la caboche. Tout le monde le sait, mais personne n'ose me le dire en face sauf certains membres de famille quand on se voit une fois par un à certains repas. A croire que les grandes tables servent de tribunaux souvent. On règle nos comptes, on s'accuse, on se déteste encore plus qu'avant, Tonton Roger sort sa meilleure blague borderline comme si c'était la blague du siècle, mais tout le monde rigole pour détendre l'atmosphère. Tout le monde, sauf moi.
Comment je pourrais rire ? A chaque fois que je me vois dans un miroir, je sais que je suis un échec ambulant. Que je n'ai rien d'accomplie de fou contrairement au cousin Timéo qui en est à sa je-ne-sais-combientième année de médecine. Même la petite cousine Laura, du haut de ses seize ans, en est à son sixième copain.
«Et toi ? Quand est-ce que tu nous présenteras quelqu'un ?» Jamais ? Probablement, jamais. Je ne sais pas, je suis bien comme je suis, seule.
Seule avec mes romans que j'achète comme on achèterait un paquet de bonbons.
Seule avec mes peluches que j'accumule pour combler l'espace demeurant vide de l'autre côté du lit.
Seule avec mes pensées et mes questions qui me font, chaque jour, me demander si je suis normale et si je l'ai été ne serait-ce qu'une fois ?
Seule avec mes désirs et mes rêves de gamine parce que c'est ce que j'ai toujours été. Une grande gamine.
J'ai fais la paix avec ça, du moins parfois j'oublie que je suis comme ça. Un peu cassée. Légèrement fracassée. J'oublie que je nage constamment dans une sorte de déprime mélancolique et que je vis chaque jour comme si celui-ci était un énième coup de fouet que l'on m'adressait. Alors je souris tous les matins, je me prépare en me disant que je vais faire de mon mieux et que ça ira car il n'y a personne d'autre pour me répéter ces mots, pour m'encourager. Je ne peux compter que sur moi-même.
Ca fait trente ans, que je ne peux compter que sur moi-même.
Trente ans que je marche parmi vous et que je porte avec moi le fardeau de mes casseroles, de mes erreurs, de mes mauvaises décisions.
Trente ans que je me demande si vraiment, je suis de ce monde et si ma place n'est pas ailleurs.
Ailleurs. Loin.
Loin, quelque part dans les étoiles.
VOUS LISEZ
La trentenaire
Historia CortaParfois, on se retrouve dans une phase où l'âge est ingrat. Nos amis se marient, deviennent parents ou bien propriétaires, on ne court plus après le bus, mais on râle dans les bouchons et on regrette l'époque où tout était...plus simple. Parfois, o...