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Le velleda noir de la professeur de français ne marche plus. Elle écrit en rouge depuis le début du cours, et le tableau en est complètement barbouillé. Mes paupières s'alourdissent en même temps que ma joue glisse de la main sur laquelle je l'ai appuyé. Mon champ de vision se réduit à deux fentes barrées de cils. Le tableau n'est plus qu'une tâche rouge qui se met à dégouliner sur le sol. La flaque grandit, l'odeur de fer afflue jusqu'à ma place au milieu de la salle. La professeur fait un pas en arrière, son talon glisse sur le sang, sa tête est précipitée en avant dans sa chute, droit sur l'angle de son bureau. Sa bouche s'ouvre pour libérer un cris, ses dents du haut frappe le bureau, et son visage se scinde en deux au niveau de la mâchoire. 

Une seconde, aucune transition, et elle passe de vivant, d'humain, de conscient, à un objet répugnant. 

Ma chaise manque de basculer tant mon sursaut est violent. Loïs me dévisage. 

— Ça va ?

Je prends ma tête dans mes mains. 

— Oui…

Ma respiration trahit que non. 

— C'est rien, j'insiste. 

Mais entre mes doigts collés contre mes yeux, je vois la main de Loïs jaillir dans les airs. 

— Madame, Eden se sent pas bien. 

— Tu peux l'accompagner à l'infirmerie. 

— Non ça va, j'interviens.

— Va quand même boire un coup. 

Le sol est aussi intact que le visage de la professeure, pourtant j'ai un frisson en passant à côté de son bureau, je ne peux pas m'empêcher de faire attention où je mets les pieds. 

Les toilettes de l'étage sont désertes, je me penche pour boire l'eau trop tiède qui sort des robinets, puis relève la tête face à mon reflet. 

Il est 11h11. 

Ma peau déjà pâle claircit davantage, du blanc se mélangent à mes iris noires pour leur donner une teinte grise froide, mes cheveux noirs bouclent et bondissent, mes lèvres rosissent. 

Je n'ai pas vu le visage de la professeur s'arracher, je l'ai imaginé. Mais le visage de l'ange face à moi, je ne l'imagine pas. Je le vois. 

Il souffle sur le miroir, et d'un doigt hésitant, concentré pour tracer ses lettres à l'envers, il inscrit les mots "je suis réel" dans la buée. 

Il en a tellement l'air et c'est tellement impossible que soudain plus rien ne semble l'être, et surtout pas moi. Mes mains ressemblent à des mains mais pas à mes mains. Mon reflet réapparaît mais c'est toujours comme regarder l'ange à sa place, comme si ce n'était pas le mien. Je recule d'un pas. 

Je suis réel. 

Les mots tracés dans la buée sont inscrits au niveau de mon front dans cette position. Je ne bouge plus. Je les relit dix fois. Puis mon reflet redevient mon reflet et mes mains redeviennent mes mains.

MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant