*

145 48 0
                                    

Un policier vient me voir directement à l'hôpital pour m'interroger concernant la plainte de Gabriel. Je reçois la visite de psychiatres tous les jours, j'ai quinze points de sutures sur chaque bras et on m'a déjà informé que je pourrais bientôt retourner au service psychiatrie, alors je ne m'inquiète pas quant au fait que ma responsabilité pénale sera vite remise en cause. Je précise bien dans quel état j'étais, mais je ments aussi, en disant que Gabriel a réclamé ce que j'ai fait. Il ne se souvient d'aucun événement de la soirée, ce sera facile de s'en rendre compte en l'interrogeant, alors la conclusion qu'il se souvient aussi très mal de ce qu'il s'est passé dans cette salle de bain viendra à l'esprit de tout le monde.

Dès le départ du policier, j'envoie un message à Maxime, seul témoin de la scène, pour lui demander de tenir la même version que moi s'il est interrogé. Il ne répond pas, mais quelques heures plus tard, il fait irruption dans ma chambre.

— T'es vraiment un malade toi, lâche-t-il.

— Apparemment oui.

Il s'assoit au bord de mon lit avec un soupir.

— Tu vas me raser la tête si je te dis que j'ai pas envie de mentir ?

— Sérieusement ? Tu le défends ?

Je m'assois aussi pour ne pas le laisser fuir mon regard.

— Non ! Non, pas du tout ! Mais c'était violent ce que t'as fait, et c'était trop, je veux pas être complice de ça. Je veux pas non plus mentir devant la justice.

— Il veut contrôler Loïs en décidant de comment elle s'habille, alors moi j'ai décidé de sa coiffure, c'est pas “trop”, c'est tout ce qu'il mérite.

— Oui… Peut-être mais… T'étais flippant quand t'as fait ça, tu lui tenais la nuque et tout, ça m'a rappelé comment tu pouvais être violent avant. Si t'as pas changé tu vas sûrement finir par devenir vraiment dangereux, et je veux pas me dire que je t'aurais couvert s'il arrive un drame.

La surprise fait doubler ma colère, je m'attendais vraiment à son soutien.

— Mais vas te faire foutre Maxime !

Il se lève et fait quelques pas dans la pièce.

— Essaye de comprendre mon point de vue ! Regarde où tu es, regardes dans quel état…

— Mais justement ! Qu'est-ce que tu veux qui arrive de pire ? Et qu'est-ce que tu crois qu'une amende ou peu importe ce que je risque va y changer ?

Ça me fait peur d'imaginer ce que je risque, et je ne m'en rend compte qu'en constatant à quel point j'ai envie de le secouer et de le supplier pour qu'il me couvre. Il me tourne le dos.

— Écoute, je prétends pas être un bon ami, ni même juste une bonne personne en faisant ça, mais je te vois comme quelqu'un dangereux, tu es quelqu'un de dangereux, et je veux pas minimiser ça parce que je veux que tu sois traité comme ce que tu es. Je pense que c'est mieux pour toi et pour tout le monde.

— Dans ce cas ça s'applique à tout le monde, Gabriel aussi doit être traité comme ce qu'il est, et c'est exactement ce que j'ai fait.

— Arrête, je t'ai déjà expliqué que le problème c'était pas ce que tu as fait, mais la manière dont tu l'as fait, et aussi tout le contexte.

— Mais…

Il me fait face à nouveau pour m'interrompre :

— Si je sautais sur Loïs pour l'étrangler, est-ce que tu voudrais que ça reste sans conséquences ?

— C'est pas comparable.

— Ça l'est parce que ça prouverait que je suis aussi instable que toi, tu l'es pas moins que ça.

— Je suis instable, d'accord, donc je dois me faire soigner ? C'est déjà ce que je fais ! Je te l'ai déjà dit, je vois pas en quoi des problèmes avec la justice pourrait aider. Ça n'aidera personne à part Gabriel. Tu feras rien de bien. Tu feras que le défendre.

— Je vais pas le défendre, je vais juste dire la vérité. Il t'arrivera rien de toute façon.

— J'ai l'air d'avoir la force de gérer ça en ce moment ? Si tu veux avoir la conscience tranquille au cas où il arrive un drame, tu prends pas la bonne direction, tu vas juste t'en rendre responsable.

C'est moi qui n'arrive plus à le regarder dans les yeux cette fois. Il me fixe un moment avant de se précipiter vers la sortie.

— T’es horrible Eden.

Sa voix se casse et la porte claque derrière lui. Depuis mon réveil, je n'arrive pas à comprendre comment j'ai pu aller au bout, comment j'ai pu m'ouvrir les bras tout seul, mais à cet instant, j'ai envie d'arracher mes pansements et tous mes points de sutures pour mettre fin à tout ça. À cet instant, je comprends. Je suis tout seul. Ça n'a plus de sens. C'est dur pour moi, c'est dur pour tout le monde autour de moi, la solution paraît tellement évidente.

Il y a juste ses mots. “Tu dois rester en vie”.

Ses mots qui me retiennent parce qu'y obéir c'est tout ce qu’il me reste de lui.

MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant