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Je vois Avel avant quoique ce soit d'autre. Le décor de mon rêve est flou, intangible, complètement éludé par lui. Il prend mon visage dans ses mains pour le détailler. 

— Tu vas bien ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— À toi de me le dire. 

Ma voix me surprend. Elle ne tremble pas et moi non plus, je me suis endormie dans un état pire que jamais, mais il est en face de moi maintenant, et comme un carburant pour mon esprit qui retrouve sa lucidité. Ce que j'ai ressenti dans la forêt, cette absence complète, cette douleur insupportable, c'étaient les mêmes qu'à la soirée de Nathan. Impossible d'oublier. Il a dû cacher mon âme une fois de plus.

— Tes frères étaient là ?

Il reste silencieux un moment avant d'acquiescer. 

— Pourquoi ça a l'air de t'embêter de le dire ? 

Ses yeux ne trahissent rien, mais il fait tourner nerveusement la bague à son index, et je passe un moment à observer son geste avant de réaliser à quel point c'est impossible. 

— Est-ce qu'elle est… Restée après mon rêve ?

— Oui. 

— Mais comment c'est possible ? 

Il hausse les épaules. 

— Avel, sérieusement, qu'est ce qu'il se passe ? Pourquoi je t'ai vu sourire hier, pourquoi ma bague est encore là, pourquoi tu veux pas me parler de tes frères, qu'est-ce qu'il y a ?

— J'en sais pas plus que toi.

— Arrête, me mens pas. 

— Je te mens pas. 

— Pourquoi t'as l'air si perturbé alors ?

— Parce que j'ai vu mes frères et parce que… J'ai eu peur pour toi tout à l'heure. Je suis désolé, ça m'a juste… Juste perturbé, c'est ça.

— Il y a autre chose. 

— Mais non, arrête ! 

— MAIS TOI ARRÊTE ! PARLE MOI MAINTENANT !

Mon "maintenant" sonne comme un "tout de suite !" impératif. Je l'ai déjà entendu, j'ai déjà eu cette pensée, dans la même situation. J'avais vécu un enfer et Avel avait été confronté à ses frères. Le tableau devait m'aider, le tableau dépeint cette scène exacte et devait contenir cette exacte colère. S'il ne fonctionne pas alors peut-être que j'ai ma réponse, peut-être que ma colère est plus forte que tout le reste. 

— Premièrement j'ai rien a dire, et deuxièmement t'es mal placé pour m'exiger de le faire, réplique Avel. Tu parles jamais, toi ! Ça fait plus d'un an que j'attends que tu m'expliques ce que tu vis la journée !

— Mais je t'en parles pas parce que j'ai pas envie de ramener ça ici ! 

Ma voix s'est cassée. Une goutte épaisse tombe sur mon visage, puis ma main, puis mon bras. C'est rouge, ça se met à pleuvoir en trombe, et je colle une main contre ma bouche. C'est trop tard. Je l'ai ramené ici, et maintenant il pleut du sang dans mon rêve. 

Les images violentes qui ne m'atteignaient jamais dans le sommeil ont cessé d'être des images, elles se sont incarnées ce soir quand déchiré et tué ce lapin, et elles sont là dans ma tête même ici. impossible à repousser. C'est un cauchemar. Avel ne devrait pas exister dans un cauchemar, il les as toujours repoussé. J'ai perdu tout ce qui faisait mon répit, et si même mon antidote ne peut pas tuer ma colère, je vais le perdre lui aussi. 

Le sang tiède me dégouline dessus, partout, dans mes cheveux, sur mes vêtements, sur mon visage, je garde la main pressé contre ma bouche et je tombe. Des larmes brûlantes remontent dans ma gorge, font déborder mes yeux, puis explosent complètement contre Avel quand il me prend dans ses bras. Il me protège de la pluie avec ses ailes, agenouillé devant moi. J'appuis mon visage tellement fort sur sa poitrine que je peux à peine respirer, je ne veux rien voir, rien entendre, je ne veux pas me sentir vivant du tout. 

MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant