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L'ange est assis à côté de moi dans l'escalier du conservatoire. Mon rêve a commencé par un réveil qui ne sonne pas, une chaussure introuvable, un retard à mon cours de piano grandissant proportionnellement au stress, et puis il est arrivé, le rêve est devenu lucide, s'est stabilisé comme si le temps s'arrêtait.

— Je veux pas que tu viennes dans tous mes rêves. 

— Pourquoi ?

— J’ai peur d’en faire certains que tu devrais pas voir. 

— Lesquels ? Je pourrais peut-être essayer de les éviter, si je sais quoi éviter. 

Je passe le doigt sur une rayure dans le vernis qui recouvre les marches en bois et hausse les épaules. 

—  J’ai quinze ans, et mes amis de mon âge font tous des rêves qui peuvent être… Gênant. Alors ça pourrait m’arriver aussi. Bref. T'as quel âge, toi ? Des milliers d'années ?

— Non. Comme toi, quinze ans. Je suis le plus jeune de mes frères. 

— J'imaginais les anges vivres des milliers d'années. 

— C'est le cas. Le dernier de mes frères avant moi, Abel, il a cinq mille cent trente-sept ans. 

— Alors t'es vraiment le tout petit petit frère. Et donc vous avez des noms, c'est quoi le tien ?

— Avel. Et toi ? 

— Eden. 

Il hoche la tête et un silence s'étire. C'est comme si les choses s'étaient inversées, parler avec lui dans mon rêve ressemble à quand je parlais à Loïs dans la réalité avant. Maintenant la réalité ressemble à un cauchemar. 

— Je ne fais pas de rêves moi, lâche soudain Avel. 

— Tout le monde en fait… Peut-être pas les anges. 

— Je ne dors pas. Je ne ressens pas la fatigue. Pas la faim ou la soif non plus.

— La peur ?

— Oui. 

— La tristesse ?

— Oui. Toutes les émotions mais pas ce qui est physique, enfin, la douleur quand même. 

Ça sonne comme une évidence dans sa bouche. 

— Pourquoi juste la douleur ?

— Pour les punitions. 

— Qui te punit ?

— Mes frères. Ils me cherchent pour ça en ce moment. Ils nous cherchent tous les deux. Est-ce que tu me crois maintenant ?

Je gratte le vernis à nouveau. J'ai envie de croire à la seule chose qui soit encore supportable, et cette chose c'est ce moment, c'est sa compagnie. 

Mais si tout est réel, alors tout est de sa faute. 

MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant