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L'eau chaude de la douche me rend somnolent, mon bras est lourd quand je le soulève pour presser le plus régulièrement possible sur ce petit bouton dans le mur. Si je ne donne pas de signe pendant trop longtemps, des infirmiers risquent de débarquer. À peine sortie, je noue une serviette autour de ma taille et vais dire dans l'interphone près de mon lit que j'ai terminé. C'est Anne qui vient me reprendre le tuyau de la douche, il est dans la même catégorie que mon chargeur de téléphone, si je peux l'accrocher autour de mon cou alors on ne peut pas me laisser.

En les voyant m'enlever tout ce qui pourrait constituer un danger, je n'ai pas pu m'empêcher de poursuivre la liste, d'envisager chaques choses autour de moi en me demandant si elles devraient en faire partie. Je n’ai trouvé qu'un seul oubli.

Le miroir.

Le miroir que je pourrais briser pour en changer les éclats en armes. C'est vers lui que je me tourne quand j'ai besoin de jauger. Je dévisage mon reflet, je ne repousse aucune pensée, j'attends de voir s'il va se mettre à battre et m'appeler. Les premiers jours, ça arrivait. Aujourd'hui, rien du tout.

Anne est encore là, une main sur la poignée.

— Tu penses quoi de vendredi ?

On discute de mon jour de sortie depuis un moment. J’ai affirmé que j’étais près et le personnel est d’accord, il ne manquait plus qu’une date.

— Vendredi c'est bien.

La première fois j'ai menti, je n'en savais rien, mais cette fois, face au miroir qui ne me tente plus, je crois vraiment être prêt. Le bon traitement a été trouvé, même si je ne dors qu'à peine mieux c'est toujours mieux, et tout le reste s’est amélioré. Mais ici rien ne compte, tout est sur pause, et plus le temps passe plus je me sens comme ma grand mère lorsqu'elle était alité chez nous, incapable de parler, de bouger et presque même de penser, je me sens maintenu de ce côté pour rien. Il doit y avoir une raison, une utilité, et il n'y a que dehors que je la trouverais.

Dans l'après-midi, Loïs m'appelle. Elle est tenu comme responsable de moi sur tous les papiers qu'on a rempli, c'est elle qui devra venir me chercher vendredi.

J'ai pris contact avec ta responsable de licence, et il y a une fille de ta classe qui va t'envoyer tous les cours que t'as loupé.

— OK, merci.

Je viendrais chez toi pour t'aider à bosser si tu veux.

— On se redira.

Au lycée j'ai réussi à maintenir le cap mais la fac c'est autre chose, et je ne veux pas échouer. Je ne veux pas rendre les choses encore plus vides de sens. Rester dans le schéma classique de l'université après le lycée me donne l'impression d'être encore accroché à quelque chose. C'est ma corde. Si je lâche ça, je perds tout.

En sortant vendredi on ira faire des courses ?

— Ouais. Et… T'inquiète pas Loïs. Ça va mieux maintenant, je vais pas… Faire n'importe quoi.

Tu peux pas me demander de pas m'inquiéter dans cette situation.

— Si. Fait juste semblant.

J'essayerais.

— Merci. Pour tout ce que tu fais, vraiment c'est…

C'est trop. Et c'est tellement ingrat de ma part de me sentir aussi seul malgré ça.

C'est normal. À vendredi Eden.

— À vendredi.

Mes affaires ont toutes été rassemblées en un petit sac quand elle vient me chercher. C'est le même effet qu'avec les cartons le jour du déménagement, je vois toute mon existence là dedans et son intérêt semble proportionnel à la taille du contenant.

MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant