« Plus le temps passe et plus je me pose des questions sur la motivation du cercle à vouloir absolument franchir le voile d'Inaé, seul passage capable d'envoyer les êtres magiques vers Téranos, le monde des humains.
Étant le dernier portailier, je me refuse de me soumettre à leur bon vouloir ! J'ai certes fait le serment de servir mon peuple, mais pas à des traîtres qui assassinent les nôtres parce que les changeformes se sont battus pour leur liberté !
Et pourtant, ce soir, je me sens mal. Demain, le cercle veut bannir ceux qui se sont soulevés et les envoyer dans le monde des humains. Je trouve cela normal que les changeformes revendiquent leur indépendance et qu'ils cessent d'être les esclaves des sorciers et des chamans. Qu'ils soient loup, lynx ou peu importe leur animal, cette espèce a gagné le droit de vivre au même titre que nous, et ce, depuis des lustres.
Je ne comprends pas le cercle. Pas plus que mes parents qui osent me dire que ces bêtes ne sont que des animaux bons à travailler pour eux. J'ai envie de vomir mes tripes parce qu'ils oublient trop vite que sans leur aide, les sorciers et les chamans n'auraient jamais réussi à bâtir ce monde !
Ce sont aussi des hommes comme nous ! Ils ont même plus d'humanité que tous les autres ! J'ai tellement honte des miens que je prie Ekan de bien veiller sur les bannis. Mais je ne reçois que le silence à mes appels.
Mon cœur saigne de son indifférence.
Je détiens entre mes mains un immense pouvoir et une grande connaissance des portails, mais cela ne profite qu'à ceux qui désirent conquérir plus de territoire hors de leur monde. Les humains ne devraient pas payer pour les erreurs des miens. Je refuse de porter le poids d'un massacre qui n'a pas à avoir lieu.
Demain, je me mettrais du côté des bannis, parce que le jour où je mourrai, je saurai que j'ai agi selon mes propres convictions. Il n'y aura plus de voyage entre ces deux mondes tant que les miens n'auront pas grandi.
Sans portailier, le voile d'Inaé disparaîtra avec moi. Et comme je n'ai eu aucun disciple, que celui ou celle qui découvrira cette lettre me retrouve de l'autre côté.
Morei Gan, dernier portailier. »
***
Nao, assis à une table de la bibliothèque des trois magies, relisait pour la énième fois le bout de papier en fronçant les sourcils. Hier matin, il avait été étonné de découvrir cette lettre à son chevet, le jour de ses treize ans. Comprenant très vite qu'elle était ensorcelée de façon à ce que personne ne puisse la voir, Nao, jeune sorcier, avait donc entamé des recherches sur ce Morei. Cependant, il n'avait rien trouvé à la bibliothèque de chez lui et de son académie. C'était comme si les anciens l'avaient effacé de leur histoire.
Aujourd'hui, il avait donné rendez-vous à Shin, son père, un illustre historien des archives anciennes. Il lui avait seulement dit qu'il désirait s'entretenir avec lui concernant une leçon, mais une fois que Nao lui avait répété les mots de l'auteur de la lettre, il ne s'était pas attendu à ce que son père le regarde comme si prononcer "Morei Gan" était une malédiction.
— C'est toi qu'Ekan a choisi, avait murmuré son père d'une voix tremblante.
Son père s'était agenouillé devant lui et l'avait fixé pendant un long moment en silence. Nao en avait profité pour détailler cet homme de trente-deux ans, posé, secret et attentionné. Veuf depuis sa naissance, Shin ne s'était jamais trouvé une autre compagne.
Ils se ressemblaient énormément. Ils avaient les cheveux noirs attachés en catogan qui juraient avec leur peau claire. La seule chose qu'ils n'avaient pas en commun était la couleur de leurs yeux. Nao les avait vairons, l'un bleu et l'autre émeraude, ce qui était pour certains le signe d'une puissante magie. Quant à son père, il les avait d'un bleu foncé.
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Le portailier - T1 [MM] [EXTRAIT]
ParanormalGaspard, fils d'un bêta qui n'a pas le don de transformation, est souvent persécuté par les jeunes de la communauté. À 10 ans, il rencontre Noa, un jeune sorcier qui vient de Sylvaca, un monde parallèle à celui du sien. Cette nouvelle amitié lui ten...