Discours contre les acronymes

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Discours politique du Candidat du Parti organisant l'union favorable indéniablement aux acronymes simplifiés (POUFIAS)


(Applaudissements. Le Candidat monte sur scène. Il lève la main pour saluer l'audience. Les applaudissements redoublent. Il s'approche du micro.)

Mesdames... Messieurs... Mes chers concitoyens.

Avant toute chose, je souhaite vous remercier d'être venus si nombreux. Ce soir, vous apportez la preuve que les Français se préoccupent de l'avenir de leur culture. Et l'on me traite d'illuminé ! Suis-je fou, vraiment ? Plus fou que le Front de Stérilisation volontaire qui souhaite vous interdire de faire des enfants ? Plus fou que le Parti de la Décimation qui présente l'extermination de la population comme le seul remède à la surpopulation ? Plus fou que Letigre qui envisage d'envoyer l'Homme sur Mars avec l'objectif d'y construire une ville d'ici 2100 ? Allons ! Le chaos guette notre pays, notre planète, et tout ce qu'il sait faire, c'est construire une ville à des millions de kilomètres d'ici. De qui se moque-t-on ?

Et pendant ce temps, la menace prolifère tel un cancer et menace d'emporter notre culture.

Comment, on me dit que j'exagère ? Que le futur que j'annonce à cors et à cris n'est pas réaliste ?

Imaginez, mes amis. Voulez-vous vivre dans un pays où l'on ne se comprend plus ? Où des castes socio-professionnelles se forment en s'appuyant sournoisement sur le langage ? Où trois lettres peuvent vouloir dire tout et son contraire ?

D'un jour à l'autre, d'une conversation à l'autre, CPE peut vouloir dire « Conseiller principal d'éducation » ou « Contrat de première embauche », « Coopération politique européenne » ou « Crédits pour engagements ». Vous travaillez dans une TPE - très petite entreprise - mais utilisez quotidiennement un TPE - terminal de paiement électronique. Pensez aux collégiens qui étudient le GN - groupe nominal - mais, des années plus tard, apprennent que ça veut également dire Gendarmerie nationale ! Mais dans le mauvais contexte, ces deux lettres peuvent être comprises comme « Gros naze ». Pensez aux incidents diplomatiques que l'on frôle avec la Grande-Bretagne en utilisant GB pour « Gueule de Bois » ou « Grosse Bite » !

Est-ce vraiment ce monde que vous voulez ? Un monde où la gendarmerie nationale est associée avec de gros nazes ? Non, mes chers concitoyens. Vous aussi, vous subissez cette confusion. Vous aussi, vous percevez le danger. On cherche à nous perdre. À nous segmenter. À nous diviser.

Hier encore, ma fille m'a montré un texto de son petit ami : « Cc ! JTM trop BB. Sv ? » J'ai passé, je vous le promets, une demi-heure à tenter de le déchiffrer. En vain ! Je doute que cela signifie : « Caca ! Jornal Tribuna de Macau, trop Big Brother. Service de ventes ? »

(Murmures dans la foule. Le Candidat lève la main afin de rétablir le silence.)

J'ai dit à ma fille de le quitter. Car ce misérable est l'un de ces parasites fatigués du cerveau qui maintiennent notre beau pays en arrière. Une paresse mentale encouragée par les institutions françaises qui elles-mêmes multiplient acronymes et abréviations.

C'est intolérable.

D'où vient ce cancer qui gangrène notre culture, notre façon de penser ? Sont-ce les étudiants avec leurs prises de notes hâtives ? Les Américains ? Est-ce l'informatique ?

Il n'y a pas de réponse simple. Seule certitude : c'est une agression permanente qui doit cesser immédiatement.

Moi président, ça changera.

Moi président, il y aura un acronyme pour une signification. Il faudra choisir entre le Groupe nominal et la Gendarmerie nationale. Il n'y aura plus la place pour Jésus-Christ, Jean-Claude et Jules César. L'ONU ne pourra pas signifier Organisation des Nations-Unies et On Nique Ursule. Il faudra choisir.

Moi président, je créerai un fichier référençant tous les acronymes autorisés. Certains organismes pourront garder le leur, d'autres devront changer. La priorité sera donnée aux organisations les plus importantes. La République démocratique du Congo restera la RDC, mais le rez-de-chaussée deviendra... deviendra... le niveau zéro.

Les acronymes abusifs seront punis. Plus de DTC, plus de WTF, plus de XPTDR ! Pour employer des acronymes, il faudra y être autorisé, et pour y être autorisé, il faudra payer. Oui, taxons les personnes incapables d'écrire correctement, taxons les paresseux plutôt que d'augmenter les impôts ! Après les pollueurs payeurs, initions le concept des paresseux payeurs !

L'ordre reviendra en France. Enfin, nous pourrons à nouveau vivre sereinement, en nous comprenant les autres. Ce sera le premier pas vers la réconciliation nationale.

Mais ce ne sera que la première victoire. Le début d'une longue conquête. Après la France viendra le monde. Après la réconciliation nationale viendra la réconciliation internationale. Finies les confusions entre les langues ! Chaque acronyme sera unique.

Nous attaquerons également les synonymes. Les images. Les métaphores. Toutes ces figures de style destinées à nous perdre et nous manipuler. Nous reviendrons au bon vieux temps où un mot signifiait une seule chose. Si nous devons inventer des mots, nous le ferons. Si nous devons forger des acronymes à huit lettres, nous le ferons aussi. Si nous devons combattre Internet, nous n'hésiterons pas !

Ensemble, nous rendrons ce pays plus sain, plus clair, plus propre.

Et pour cela, un seul moyen : ce dimanche, ne votez pas pour ces candidats ridicules avec leurs ambitions absurdes. Non, ce dimanche, votez pour moi !

Vive la France, la vraie ! Vive vous ! Vive nous !

Vive moi !

(Applaudissements frénétiques.)


Rendez-vous vers l'absurdeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant