Rendez-vous vers l'absurde

Discours contre le subjonctif

Mes amis, mes frères, mes sœurs. Mes chers compatriotes.

Cela fait trop longtemps que le sujet est tabou. Il est temps de lever le voile sur une injustice qui a comprimé notre pays pendant toutes ces décennies. Pendant tous ces siècles.

Ce mal, cet ennemi, vous le connaissez tous : c'est le subjonctif.

Oui, le subjonctif ! Cette marque de l'élitisme sociale, de l'oppression du peuple par la bourgeoisie. Ce joug temporel, symbole de l'oppression intellectuelle, qui ne sert à rien, sinon à complexifier le langage, à rendre plus compliqué l'usage de la parole, à nous détourner de ce qui compte vraiment : nos valeurs en elles-mêmes.

Le subjonctif, ça ne sert qu'à nous embrouiller, à nous faire cafouiller.

Le subjonctif, c'est une table de conjugaison en plus à apprendre. Comme si le passé composé ou le conditionnel ne suffisaient pas !

Le subjonctif, c'est un outil de la ségrégation sociale. À qui n'a-t-on jamais dit : « toi, tu ne sais pas conjuguer correctement, donc tu ne mérites pas ce poste. » Combien n'ont jamais souffert de ce terrorisme intellectuel ? Tout le monde le subit, et personne n'en parle, car tout le monde a peur. C'est une société comme ça que vous voulez ?

Est-ce que vous voulez un monde où l'on trie les bons et les médiocres pour une erreur de conjugaison ?

Est-ce que vous voulez un monde où les enfants apprennent des fiches de conjugaison au lieu d'apprendre des règles de politesse ?

Est-ce que vous voulez un monde où la peur de mal conjuguer fait office de censure ?

Non, mes amis, je suppose que vous ne voulez pas un tel monde ! Et bien, moi non plus. Les anglo-saxons s'embarrassent-ils du subjonctif ? Bien sûr que non, et leur langue est la plus parlée au monde. Coïncidence ? Je ne crois pas, non ! Les Américains ne se soucient guère de subjonctif, d'accord de participes passés, de choix entre tutoiement et vouvoiement ! Et qui domine le monde ? Les Français ou les Américains ? Les Américains, bien sûr !

Mes chers compatriotes. Ne laissons pas le subjonctif faire prendre du retard à notre langue, à notre civilisation. Nous devons éradiquer le mal à la racine. Nous devons enfermer le subjonctif dans des livres de grammaire poussiéreux d'où ils n'auraient jamais dû sortir. Nous devons brûler les Bescherelle, et qu'importe s'il fallait accorder le participe passé avec le COD ! Qui s'en soucie ? Qui s'en portera plus mal ?

Mes amis, épurons la langue française de toutes ces règles parasites qui nous éloignent de notre vraie ambition : le bonheur. Laissons la colère nous envahir le temps de purger notre belle langue, puis reconstruisons un monde nouveau : sans subjonctif, sans accord, et sans tutoiement.

Et puis, enfin, nous pourrons étendre notre influence, et dominer le monde.