chapitre 5

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–On ne peut pas leur en parler maintenant, il seraient terrifiés

Mon réveil indique quatre heures trente, je n'arrive pas à dormir. Maman et Papa se disputent depuis plus d'une heure. La tête dans l'oreiller, j'essaie désespérément de me rendormir. Cinq minutes, six minutes, dix minutes, ... Je n'y arrive pas. Je sors silencieusement de ma chambre en veillant à ne pas faire de bruits. L'obscurité enveloppe la maison. Je me glisse dans le couloir, parvenant jusqu'à la porte d'où s'échappe un mince filet de lumière.

– Seth notre ami, il sait ce qu'il dit, on ne peut pas !

– Arrête de toujours écouter les autres !

Je pousse la porte du bureau, Papa se tait. Je retiens mon souffle. Maman suit son regard. Elle me prend par la main, laissant mon père derrière elle. Nous retournons dans ma chambre. Elle ne dit pas un mot et reste assise sur mon lit, me caressant la tête. Doucement je me sens finalement happée par le sommeil. Le matelas s'allège et la porte se referme. 

Demain, Maman et Papa mourront.

J'étais assise sur le lit, murée dans mon silence, comme je le faisais si bien depuis mon arrivée. Depuis le repas du premier soir je n'arrivais plus à faire face aux Wendigos. Je restais confinée dans cette chambre. Adam avait compris que je n'avais aucune intention de parler, je n'y arrivais pas encore, alors chaque matin, il venait dans ma chambre et me racontait l'histoire, le fonctionnement et les coutumes de son peuple, les Noliens. Dehors, plus personne n'était dangereux, il n'y avait plus de meutes mais des communautés. Les gens s'entraidaient au lieu de s'entretuer. L'air n'était plus toxique, nous étions libres d'aller où nous le voulions. Les plantes s'étaient guéries d'elles même en éliminant la toxine de leur organisme. Cela avait permis aux humains de retrouver leur conscience et de rebâtir ce qu'ils avaient perdu et détruit durant toutes ces années de folie. Ma peur se volatilisait peu à peu laissant place à de la curiosité. Tout ce que j'avais appris sur le monde extérieur, sur ces survivants, ou même sur l'air, s'effritait lentement.

Je comprenais qu'en me racontant leur histoire Adam essayait de me rassurer. Et son objectif avait pratiquement été atteint. Je n'arrivais néanmoins pas encore à lui faire confiance. Pour la première fois depuis la mort de mes parents je me retrouvais seule, sans repères, sans rocher auquel pouvoir m'accrocher. Je devais devenir mon propre pilier. 

Le lendemain, Adam entra dans ma chambre tôt le matin, s'installa comme à son habitude sur le fauteuil face à moi et commença à parler des fleurs. Il avait réussi à retenir mon attention. Je sentis que mon corps en voulait plus, je voulais y aller. Avec une force que je pensais perdue depuis quelques jours, je me levai du lit et souris à Adam. Il se tut, les yeux écarquillés et après plus de deux semaines de silence, je pris finalement la parole.

– Sortir ?

Les plis entre ses sourcils s'adoucirent et ses épaules s'affaissèrent. Ses yeux brillaient. Ils ressemblaient à de vrai rubis. 

Nous sortîmes de la maison. Au contact du vent sur ma peau je tressaillis. L'air commençait à manquer et j'attendais qu'Adam me donne quelque chose pour que je puisse respirer mais rien. Il me regarda d'abord incrédule puis compris.

– Ouvre ta bouche et laisse rentrer l'air, tu peux respirer, tu l'as déjà fait dans la maison.

Il avait l'air amusé de la situation mais je fis ce qu'il me dit. L'air empli mes poumons et je respirai sans masque. Je ris. Le ciel n'avait pas de parois de verre. Au loin aucun mur ne se dressait. Je réalisai que toutes ces protections réconfortantes d'Adora m'entravaient plutôt que de m'offrir une liberté. Adam me tendit la main et je la pris. C'était chaud, c'était humain. 

Devant moi se dressait un champ qui débordait de couleurs. Plus je m'approchais, plus une odeur sucrée s'intensifiait. Je traversais le champ à travers le sentier tracé. Roses, bleues, rouges et même violettes, il y en avait de toutes les couleurs. Je pouvais les toucher, les sentir et en cueillir quelques-unes. Maman aurait été comblée.

– Cela fait quelques jours que quelqu'un cherche à te rencontrer.

Je regardai Adam incrédule. Derrière lui deux enfants arrivaient en courant. Il y avait le petit garçon que j'avais vu le premier soir, son fils. La deuxième enfant était plus petite et menue. Quand nos regards se croisèrent je la reconnus. Elle courut dans mes bras. Je restai figée quelques secondes puis réussis à m'assoir. Elle me serrait toujours. Je sentais son petit corps trembler dans mes bras. Comment pouvait-elle me prendre dans ses bras après ce que mon peuple avait fait à son frère ? 

Plus tard, Adam me fit rencontrer les parents de la jeune fille. L'homme qui ouvrit la porte était celui que j'avais rencontré le premier jour, celui qui m'avait plaquée au sol. Quand nos regards se croisèrent, nous sourîmes à l'unisson. Sur les murs il y avait plusieurs photos des deux enfants, rayonnants de joie. Mon peuple avait pris à cette famille l'une des choses les plus importantes à leurs yeux. À cet instant, mes craintes se confirmèrent, les monstres, ce n'était pas eux. C'était nous, les Adoriens. Ces gens avaient retrouvé leur humanité depuis de nombreuses décennies. 

Quelques heures plus tard, Adam me conduisit à une vaste étendue d'eau.

– Voici le lac Azurin, nous l'appelons ainsi en raison de sa teinte foncée. Regarde ces petites créatures qui nagent en banc, sais-tu ce que c'est ?

– Des possous ?

– Poissons.

Il commença à enlever ses chaussures puis son t-shirt et sauta dans l'eau. Je le regardai la bouche grande ouverte.

– Viens !

J'enlevai mes habits à mon tour. Jamais je ne m'étais baignée ailleurs que dans une piscine. Je n'osais pas mettre le pied dans l'eau alors Adam me prit la main et nous y entrâmes lentement. Je criais à chaque fois qu'un poisson m'effleurait la peau et il riait. Son rire me faisait penser à celui de Papa. En y réfléchissant bien, ils avaient presque le même âge. Il se retourna et quelque chose retint mon attention. Des taches blanches parsemaient son dos.

Il sentit que je l'observais, car quelques secondes plus tard, il m'en parla.

– Nos tâches sur le dos sont une trace de notre histoire, nos yeux aussi. C'est un rappel qui peu à peu s'efface au fil des générations.

– Adam ?

Surpris que je l'appelle par son prénom, il fit volte-face et planta son regard dans le mien.

– Qui est la personne à tes côtés sur la photo dans ma chambre, je ne l'ai pas encore vue.

Son visage se crispa. Les pulpes de nos doigts commençaient à se friper alors nous sortîmes de l'eau dans le silence. Adam s'assit et m'invita à le rejoindre. Le regard fixé sur le sol, il me répondit.

– Il s'agit de ma femme et il y a deux ans, elle a été enlevée lors d'une prise de territoire.

Dehors  (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant