7 : La Pouf

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Je viens de rentrer chez moi. Mes parents se jettent littéralement sur moi pour savoir ce que j'ai fait avec Sola. Je n'ai pas envie de mentir et de réfléchir à des activités qu'on aurait potentiellement pu faire si j'étais vraiment allée chez elle, alors je monte dans ma chambre après leur avoir dit que je me suis couchée tard et que je suis fatiguée. Ils doivent être contents que j'aie enfin une amie. Je ne leur parle jamais du lycée. Ils ne savent pas si j'ai des amies, des ennemis. Si les profs sont cools ou non. Ils ne savent rien de ma vie au lycée. Mais je ne vais pas me plaindre en disant qu'ils ne s'intéressent pas à moi. Parce que c'est mon choix, à moi, de ne pas leur parler du lycée et des cours. Ma décision. Pas la leur.

Je me jette sur mon lit et sors mon portable. J'ai au moins cents notifications, comme si je n'y avais pas touché depuis des jours. J'ai seulement passé une nuit à l'hôpital, pourquoi en ai-je autant ?

Elles proviennent toutes d'Instagram.

J'ouvre l'application et je remarque que beaucoup de personne m'ont mentionnés. Je n'aime pas ça. Pas du tout.

Dans le premier poste où j'ai été mentionné, c'est une photo du compte de Tiffany. Je regarde la description où j'ai été mentionné.

tif20_07 Aujourd'hui, @const.dan est entrée en classe, maquillée comme une pouf. Heureusement pour elle, le prof la pas vu, c'est une chance. Mais tous les autres, si, n'est-ce pas ?

Dans la section commentaire, je suis mentionnée une centaine de fois. Je lis tous les commentaires du poste. Tous les commentaires disant que je ne mérite pas de vivre. Que ce n'est pas en me maquillant comme ça que les garçons me remarqueront, m'aimeront. Que je ne méritais rien. Que je n'étais rien.

Je les lis tous. Toutes ces insultes, ces méchancetés, je les lis. Même si ça me brise à l'intérieur, je lis tout. Je veux savoir ce qu'ils pensent tous de moi. Je veux savoir ce qui ne leur plait pas chez moi. Je veux savoir pourquoi ils me détestent. Pourquoi ils m'harcèlent. Pourquoi je me sens différente.

Des larmes coulent sur mes joues. Je ne m'étais pas rendue compte que je pleurais.

Une partie de moi veut arrêter de lire ces messages de haine. Je les lis et les relis sans cesse en me demandant ce qui ne tourne pas rond chez moi.

Je fais des screens de tous les commentaires. Si cette histoire va plus loin, j'aurai des preuves au cas-où Tiffany supprimerait son poste.

Je regarde ensuite tous les autres postes et commentaires dans lesquels on m'a tagué. Que des postes et commentaires méchants, négatifs. Personne pour me défendre. Pas même un inconnu. Juste de la méchanceté gratuite. De la haine comme cadeau. De la peine dans mon cœur. Des larmes sur mes joues.

Je n'arrive plus à respirer. J'essaie. Mais je n'y arrive pas. Est-ce que je fais encore une crise de panique ? Si c'est le cas, il ne faut pas que mes parents le sachent. Ils sauront tout sinon.

J'éteins mon téléphone et le pose loin de moi. Je cherche dans ma mémoire ce que j'aime. Quelque chose qui pourrait éventuellement me calmer. La musique. C'est la seule chose qui me fait un effet aussi incroyable. Aussi agréable.

Je me lève, en essayant de reprendre ma respiration. Je n'y arrive pas. J'avance jusqu'à mon tourne disque. J'ai eu la chance de récupéré celui de mes grands-parents lorsqu'ils ont déménagé. J'attrape un disque – je ne sais pas de quel artiste ou de quel groupe – et le place dans le tourne disque. Dès les premières notes, je reconnais la musique. Heaven and Back de Chase Atlantic. Je m'assieds sur le sol, près du tourne disque. Je remonte mes genoux sous mon menton et j'essaie de me calmer. J'écoute la chanson comme je ne l'ai jamais écouté. Je me concentre sur chaque instrument. Chaque mot que Mitchel Cave prononce.

Je commence à fredonner la mélodie tout en restant concentrée. Je commence à mieux respirer.

J'essaie de calmer mes pleurs. J'essuie les larmes sur mes joues. Je respire profondément. Je ferme mes yeux et écoute la musique.

Dehors, le soleil se couche. Ses rayons caressent mon visage. Je sens leur chaleur.

La chanson suivante commence. Love is (not) easy. Je respire enfin normalement.

Je rouvre mes yeux. Le soleil m'éblouis. Je me lève et descends. Ma mère vient de m'appeler pour manger. J'espère que mes yeux ne sont plus rouges.

- Vous vous êtes couchées tard avec... Comment elle s'appelle déjà ? demande ma mère.

- Sola.

- Ah oui ! Sola ! Merci. Alors ?

- Oui. Pourquoi ?

- Tu as l'air fatigué, intervient mon père.

Je m'installe à table. Mon père pose un plat devant nous et nous sert.

- Qu'est-ce que vous avez fait chez Sola ? demande-t-il.

Je réfléchis le plus rapidement possible.

- On a regardé des films.

- Ah bon ? Lequel ?

Lequel ? Ils ne peuvent pas arrêter de me questionner ? Je suis leur fille, pas une tueuse en série. Puis, à quoi ça va leur servir de savoir le film que j'ai « regardé » avec Sola ?

- Mon voisin Totoro, je réponds.

Ma mère relève la tête et me regarde.

- Le film du chinois, là ?

Je soupir.

- Du japonais, tu veux dire. Miyazaki.

- Oh, japonais, chinois, c'est pareil. Ça fait partie de l'Asie.

- Il y n'y a pas que les japonais et les chinois en Asie, Maman.

- Je sais, mais qui connait les autres ?

Elle regarde mon père et ils rient.

- Personne, répond mon père.

- Les turcs, les indiens, les indonésiens, les coréens, les philippins, les iraniens, les syriens, les mongoles...

- La seule mongole que je connaisse, c'est ma mère, dit la mienne.

Elle et ma grand-mère ne s'aime pas.

Concernant le racisme de mes parents, j'y ai toujours été habituée. Heureusement pour moi, j'ai appris à ne pas être comme eux. Chacun est comme il est, être de couleur de peau ou d'origine différente est normal. Si nous étions tous pareil, le monde sera étrange. Très étrange. Imaginez, vous marchez dans la rue et chaque femme ou homme que vous croisez à votre visage. Ce serait malaisant.

On termine le repas en silence. Je ne veux pas me faire engueuler pour avoir défendu des innocents. Cela m'étonne que mes parents ne m'aient pas mise dans un orphelinat après ma naissance. Eux qui critiquent tant les personnes sur leur physique ou leurs origines, ça m'étonne qu'ils ne m'aient jamais fait de remarque sur mon physique tout mince ou sur mes cheveux blancs. Peut-être parce que je suis leur fille. Et qu'en tant que telle, je suis parfaite. Mais si à leur yeux je le suis, c'est uniquement parce qu'ils sont mes parents. Eux qui sont si parfaits.

Sleepless Night, Dark ThoughtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant