11 🎀 Joyeux Noël ! Ou pas...

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Je plaque mes mains sur mon front et les remonte, repoussant distraitement mon afro en arrière.

- Damn... Mi can't believe he pulled dat shit on me !*

Je me le répète en boucle, je n'arrive vraiment pas à y croire. Craquer et tout déballer comme ça, la veille du terme de notre contrat... Tout se déroulait si bien depuis hier, que c'était tout bonnement impensable !

Un soupir m'échappe. Je ne parviens pas à me décider à appeler, ou non, ma référente. J'aimerais autant réussir à discuter avec Neyl en amont, de préférence avant qu'il ne me prenne de vitesse et vocifère auprès de l'agence. Il est tellement... imprévisible ! Mais, sachant ça, j'aurais tout de même dû prévoir son revirement.

Mes yeux désabusés trainent pensivement sur les vacanciers surexcités qui occupent aussi le petit salon du chalet ou traversent le hall d'accueil. Ces allers et venues frénétiques égalent à peine le bordel dans ma tête, mais ne m'aident pas aucunement à le calmer. Je grogne et laisse échapper un juron quand je sens une vibration dans la poche de mon cardigan.

J'ai activé le mode « Ne pas déranger » en début de soirée, à quelques exceptions près. Les possibilités quant à mes notifications sont donc restreintes. Il ne peut s'agir que d'un message ou un appel provenant d'un de mes proche, voire de Neyl... Prenant une grande inspiration, je sors mon smartphone et fronce légèrement les sourcils avant d'esquisser un rictus face aux quelques mots s'affichés sur l'écran :

« Joyeux Noël, ma couille gauche !

J'espère que tu t'amuses autant que nous, même si tu te les gèles sûrement trois fois plus au fin fond des Alpes. »

Je ne prête attention à l'heure qu'à cet instant.

Minuit pile.

Ah, mon Éric. Il parvient toujours à m'arracher un sourire, peu importe la situation. Josy n'est d'ailleurs pas en reste. J'observe encore quelques secondes la courte vidéo montrant mes deux colocataires s'enjailler sous une pluie de confettis dorés. Si je me fie à la géolocalisation affichée et aux meubles autour desquels s'agglutinent les autres fêtards en arrière-plan, ils ont fini par se décider à passer leur Noël dans un de ces appartements de notre charmant Paris. Ceux qui accueillent des soirées secrètes très branchées.

« Joyeux Noël à vous aussi, les lourdauds.

Profitez à fond de votre soirée. De mon coté, la mission est compromise. Je suis en stand-by. Je vous raconte le délire en rentrant demain. »

Je verrouille à peine mon portable, avec un énième soupir dépité, que l'écran reprend vie.

J'accepte instantanément l'appel vidéo d'Éric. Son visage inquiet apparait, suivit par celui de Josy, visible par-dessus son épaule au milieu d'une marée exaltée de corps sans têtes.

- Yo ! commence-t-il en hurlant pour couvrir le brouhaha en fond sonore.

- La famille de ton nouveau mec t'a foutu dehors ? s'enquiert Josy, accrochée à la manche d'Éric afin d'avancer dans la foule sans le perdre.

Le serre-tête au bois de cerf en tissu fiché dans ses cheveux courts me renvoie à l'image de Neyl, taquiné par Alina dans les rayons d'une petite librairie lors de nos emplètes de l'après-midi. Leur complicité est évidente. Il était tout sourire quand elle a glissé un accessoire du même genre dans ses cheveux noirs de jais.

Le souvenir moins gai des yeux hazel de sa meilleure amie quelques minutes plus tôt, à la fois meurtriers et blessés, me tire un sincère pincement au cœur. Je m'en veux beaucoup d'avoir laissé Neyl seul face à leurs courroux.

Mes clauses de confidentialité ne m'autorisent à révéler que très peu de mes activités sous la bannière de Conquiers-les. Uniquement à une poignée de personnes de confiance, ma responsabilité en cas de fuite ou de scandale étant engagée. Évidemment, je ne divulgue ni noms ni informations compromettantes. Mais pour continuer à exceller dans ce métier sans entasser de négativité sur mes épaules, j'ai grandement besoin du sas de décompression que nous partageons tous les trois. De ça, aussi bien que de leur soutien indéfectible.

- Réré ! insiste Josy, me ramenant à son interrogation.

- Eum, pas cette fois, non. Ne vous inquiétez pas. Par chance, je passe ce séjour dans un chalet, leur rappelé-je tandis que je me lève pour m'éloigner de l'agitation du hall.

Nous continuons à discuter pendant que je me dirige vers un endroit plus calme. Sur le coup, le couloir menant au sauna est le seul lieu qui me vienne à l'esprit.

- Comment ça, il leur a balancé la vérité en pleine tronche ? s'indigne Éric, dorénavant enfermé dans des toilettes avec la deuxième mousquetaire. Il est con ou quoi, ce type !

- Il est très loin de l'être... C'est clair que ça me fait bien chier qu'il ait craqué si près du but. Mais, franchement, je le comprends. Si vous aviez entendu ce que sa famille lui balançait comme nonsens, vous comprendriez, vous aussi.

- OK. Mais du coup, t'es où, mec ? poursuit-il. On a vu du monde derrière toi, tout à l'heure. T'es pas retourné à ta chambre ?

- Non, je la partage avec lui.

- Couple amoureux oblige, souligne judicieusement Josy.

- Exact. Alors, déjà qu'il a dû mal à supporter ma présence en temps normal, je me suis dis qu'il valait mieux lui laisser un espace sûr où se retrancher.

- Bien vu. Mais ça craint pour toi, ma couille.

- C'est vrai, embraye Josy. Comment tu vas faire pour récupérer tes affaires, ou même pour rentrer sur Paris s'il veut plus te revoir ? T'as prévenu ta référente ?

- Pas encore, chaque chose en son temps. J'ai un délai de douze heures pour informer l'agence de toute urgence ou inconvénient. J'aimerais essayer de discuter avec mon client avant. Si ce n'est pas possible ce soir, j'essaierai demain matin.

La nouvelle vibration au creux de ma main détourne mon attention de notre conversation. Plusieurs notifications s'enchaînent sur le ruban de mon écran. Je déglutis en les lisant.

« Où es-tu ? »

« Je t'ai cherché partout... »

« Réponds-moi, Raymond ! Je dois impérativement de te parler. Là. Maintenant. »

Bon sang... L'énergie de ces messages est si chaotique que je sens d'ici venir les embrouilles.

- En parlant du loup..., commencé-je sans avoir à achever ma pensée.

- OK. On te dit merde ma poule !

- Ouais ! Même si notre charmeur professionnel n'a pas vraiment besoin de chance, pouffe Josy.

- Ah, pour une fois, je vais peut-être en avoir besoin, grimacé-je en me grattant nerveusement la nuque. But no worries. Concentrez-vous sur votre soirée.

Je les rassure avant de raccrocher. Ce coup-ci, je ne suis pas à la rue et, quoiqu'il advienne, je retrouverai mes deux amis à la maison demain soir. Les festivités de Noël seront même encore de mise afin de me consoler de ce fiasco.

Empruntant à nouveau le chemin du hall, j'échange avec Neyl qui m'informe qu'il m'attend dans notre chambre. De pied ferme, visiblement. Je ne peux alors m'empêcher de penser à notre face à face imminent avec appréhension. Couloir après couloir.

Ces derniers temps, j'ai eu le plaisir de découvrir la nature assez docile cachée derrière son épaisse carapace. Cependant, lorsque ses ressentiments explosent, ils ont l'effet d'une avalanche qui enterre vivant et ne laisse aucune chance de remonter sa tête à la surface pour reprendre son souffle. Je suis à peu près certain d'en faire à nouveau l'expérience d'ici quelques minutes. Neyl défoulera sans doute sa frustration sur moi. Mais j'ai promis d'être là pour lui s'il en ressent le besoin. Quelque soit ce besoin.

Traduction : « Putain... J'arrive pas à croire qu'il m'ait fait une telle merde ! »

Conquiers-moi [MxM |❤️‍🔥]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant