Chapitre 9 - La révélation

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— Mon gars, on va voir ce que tu as dans le ventre ! balança Émile à son nouvel élève. Je vais te demander de nous sortir un truc potable ! Montre-nous comment t'es doué en poésie ! Fais nous quelques vers bien émouvants ! De la bonne guimauve pour les ménagères !

François se serait cru en classe avec son professeur de Français qui l'interrogeait sur une leçon, mais là, malgré l'atmosphère pesante de ces deux personnages glauques, dans la pénombre de cette pièce poussiéreuse, malgré son inquiétude infinie et son manque de confiance en lui, il se révéla sous un nouveau jour .

Il y avait au fond de lui un écrivain qui sommeillait, créatif, plein d'intensité et de finesse.
Bref, il était doué ! Il fallait juste faire sortir le génie de sa lampe.

Il se pencha en avant, la tête entre les mains, et, tout tordu qu'il était dans cette pose, il tourna en rond pendant quelques longues secondes, quand tout à coup il demanda, les yeux pleins de lumière et de fougue :

— Une feuille ! Il me faut une feuille !!! Et un stylo !! Vite !

Le gros Gérard, avachi dans le canapé sale de la chambre, sursauta.

— Ah oui ! Bien sûr ! Tiens l'artiste !! Voilà !

Le jeune homme, en pleine effervescence, s'empressa de la prendre et y griffonna très vite une dizaine de lignes sur un bord de table. Puis il reposa le papier, froissé par une telle vivacité.

Effarés, les deux compères vinrent lire ces quelques mots sortis du diable vauvert. Leur stupéfaction fut la même que devant un miracle à Lourdes ! Aucun de ces deux lurons n'avait vu quelqu'un écrire comme ça, tout du premier jet ! Ils étaient incrédules devant ce tour de passe-passe. Ils se penchèrent à nouveau pour relire.
Émile s'écria :

— C'est un prodige ! Un don de Dieu !

— Wow ! Je dirais même un miracle ! rajouta l'autre !

Sur sa feuille on pouvait lire ces quelques lignes :

"Quand devant nous se dresse
La montagne des doutes
Et que notre faiblesse
Nous barre la vraie route

Quand les ombres d'en bas
Vous tirent les mollets
Et que les cieux d'en haut
Vous ferment les volets

Quand vous pensez tomber,
Que vous allez mourir,
Vous devez tout lâcher,
Et vous devez écrire
Vous vous envolerez."

C'était sorti de lui en quelques secondes.

— Pas de brouillon, pas de réflexion, pas de correction. Du premier coup ! Incroyable ! s'étonna encore Emile

— C'est dingue ça ! Encore un ! demanda Gérard !

Alors le jeune maître des mots reprit sa feuille et griffonna de nouvelles lignes :

"Dans cette chambre de bonne,
dans ce petit village,
loin de tout, loin des hommes,
se cachait un grand sage.

Comme le génie sorti
De la lampe mystique
Tout ce qu'il a écrit
Est en tout point magique !"

— Et voilà ! lança fièrement et même plein d'ironie le petit prodige, qui se sentait pousser des ailes et qui sortait des alexandrins comme des lapins de son chapeau !

— Ahhhhhh ! s'écria de joie et de fierté son patron ! Tu vois ! Qu'est-ce que je t'avais dit Émile ! Le petit rat de bibliothèque a du talent ! Je le savais !

— Oh ! purée c'est vrai ! lâcha le grand auteur encore tout abasourdi ! On va pouvoir le prendre celui là !

Et ces mots glacèrent d'un coup le sang encore bouillant de joie du jeune écrivain en herbe. Que voulait-il dire par "le prendre " ? Et pourquoi "celui-là" ? Il ne comprenait pas où il voulait en venir et il n'osait pas demander le sens de tout cela. Il était encore tout joyeux de ses lignes et de ses mots qui rimaient si bien et qui frappaient si fort.

Mais la petite voix et ses interminables questions reprirent de plus belle dans sa tête.

Émile ne le laissa pas reprendre ses esprits, ni son souffle, et renchérit :

— Bon OK tu gères en poésie !
Mais ce qu'on veut voir, nous, c'est comment tu nous ferais un super bon roman, un top, un "best-seller" comme ils disent dans le show-biz !

— Quoi ? répondit François ! Mais je ne suis pas encore prêt pour ça !

— Mais je sais que tu en es capable mon grand. J'ai confiance en toi ! Tu es fait pour écrire ! Tu as ça dans le sang ! J'en suis persuadé ! TU DOIS ÉCRIRE ! lui dit Emile d'une voix forte et paternelle.

Finie la réflexion ou l'analyse ! Le gamin était sur un nuage.

— Si vous le dites ! C'est vous l'expert ! Monsieur Émile ! Je suis très flatté de votre confiance et je ferais tout pour y arriver ! Je vous le promets. Vous pouvez me croire ! Je vais m'y mettre à fond !

Le roi des mots accepta ce défi sans trop savoir où cela allait le mener.

Un petit doute refit surface et il marmonna :

— OK ! Allez ! Un roman ! Carrément ! Bon... j'en ai tellement lu que je peux toujours essayer...

Émile l'entendit et rétorqua :

— Pas d'essai ! Je veux une réussite !

Et GéGé voulut rigoler en imitant maître Yoda dans Star wars:

— Fais‐le ou ne le fais pas ! Il n'y a pas d'essai !

Émile sourit du coin des lèvres.

François s'interrogea sur son futur projet :

— Bon ! On va voir ce que je peux faire. Ça serait quoi le thème ? Le sujet ? L'incipit ? La région ? Les personnages ? Le synopsis ?

— Houla ! Mais c'est toi qui fait tout mon gars ! C'est toi qui écris ! T'es libre ! "Tu es l'auteur ! Tu racontes l'histoire" ! Faut juste que tu sois cool à lire ! dit Émile.

— Je peux écrire ce que je veux ? comme je veux ? demanda François comme un enfant.

— Ouais ! Mais si c'est nul, attention ! on te trucide et on jette ton corps aux cochons !! Ah ah ah !ricana Gérard en frottant l'une sur l'autre ses grosses mains grasses et sales.

Les yeux du jeune artiste s'écarquillèrent au maximum et il frissonna de terreur.

— Mais non ! C'est juste pour rire ! T'inquiète pas ! dit GéGé pour tenter de le rassurer.

La petite voix dût intervenir à nouveau à son oreille :

Ouais non mais c'est nul comme blague ! C'est super flippant ! Rien que de penser à ça, mais faut être malade !! Tu devrais te méfier de ces deux zigotos !

Son silence était aussi long que ses réflexions, ses questions, et ses dialogues intérieurs infinis.

Mais son envie de leur prouver son talent, de voir dans leurs yeux une petite lueur de fierté et même de dévotion, le titillait tellement qu'elle l'emporta sur la petite voix faible qui, pourtant, était celle de la raison.

Il allait écrire.

Écrire pour se prouver qu'il pouvait faire quelque chose de bien dans sa vie, quelque chose qui ait de la valeur, que les gens aimeraient, qui le placerait loin de sa condition misérable et même qui laisserait une trace de lui à l'humanité.

C'était, en fait, tout ce qu'il attendait. Qu'on lui mette le pied à l'étrier. Mais il ne voulait pas voir que c'était celui d'un cheval fou, un des fameux chevaux de l'apocalypse, qui l'emmènerait tout droit jusqu'en Enfer.

MONTEZ !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant