LOVERS - Personne d'autre que toi (Tome 3)

Extra 1

Lili Rosenbach

Je n'aime pas cet endroit. Pourtant, ça fait déjà des années que je le supporte. Pour mon frère. Certes, Noah n'a pas été incarcéré dans la même prison que Greg, la justice n'a pas été stupide à ce point, mais ici ou là-bas, c'est la même ambiance, le même univers sordide et angoissant.

Je pénètre dans la salle des visites. J'ai été fouillée, un peu moins sérieusement que les premières fois où je suis venue. Après cinq ans, les gardiens ont appris à me connaitre. Ils me font confiance et mon copain est un détenu exemplaire. Difficile de croire qu'il pourrait tenter une évasion. Je crois surtout que les gardiens ont de la peine pour nous, pour ce couple de jeunes déchiré par un conflit bien trop grand pour eux. « La fille aux paillettes », qu'ils m'appellent. C'est presque ironique parce qu'en réalité, je n'en porte plus. Dans la vraie vie, je veux dire. J'ai grandi, ou plus honnêtement encore, je ne suis plus la fille que j'étais avant. Je remets des paillettes seulement quand je vais voir Noah au parloir, c'est comme un masque que je pose sur ma figure, quelque chose pour qu'il croit que le monde dehors est le même que celui qu'il a quitté. J'ignore si ça marche, mais je me dis que ça met au moins un peu de couleur dans sa journée. Aujourd'hui, je porte des paillettes violettes, elles sont accordées à ma combinaison en jean Lila. Mes cheveux blonds sont relevés en deux chignons, Noah aime bien cette coiffure.

J'avance dans la salle, cherchant mon petit ami du regard. D'habitude, il occupe la table du fond. C'est la meilleure, celle qui est le plus à l'écart. Alors je suis assez étonnée de ne pas l'y trouver. Je m'enfonce davantage, déambulant entre les tables.

— Lili, m'appelle-t-il.

Je fais volte-face, le découvrant juste dans mon dos. Noah est affublé d'un jogging gris anthracite, sa capuche encore sur la tête, ses cheveux noirs de jais aplatis sur le devant. Je sais bien qu'en prison il a autre chose à penser que son apparence, mais généralement il fait un peu plus attention à lui quand je viens le voir. Là, on dirait qu'il sort du lit. Ses yeux sont cernés et son teint est pâle, ce qui est encore plus saisissant quand on connait la couleur brunâtre de sa peau.

Je m'assois en face de lui, ignorant comment débuter la conversation. J'avance mes mains vers lui et il les saisit aussitôt pour les amener à ses lèvres. Noah embrasse mes doigts, mes paumes, mes poignets. Les gestes sont doux et mon cœur se libère aussitôt de la cage qui le compressait depuis mon entrée ici. C'est un fait, malgré les années, je n'arrive pas à me faire à tous ses murs de béton, aux portes grillagées qu'on referme dans notre dos, au personnel pénitencier qui nous scrute du coin de l'œil. C'est seulement quand Noah ancre ses yeux dans les miens que tout ça disparait, que j'oublie où je suis. Souvent, son regard s'illumine quand j'apparais et je me dis que je dois lui apporter la même impression, un souffle de liberté, une bouffée d'air frais.

Pas cette fois-là. Le regard de Noah est dans le mien, mais il reste vide. La cage se referme aussitôt autour de mon cœur alors qu'il lâche mes mains pour les reposer sur la table. Je les ramène à moi et les glisse sous la table.

J'ai une boule dans la gorge. Je suis venue pour lui parler de la libération de Greg, parce que j'estime qu'il doit savoir, mais la façon dont il m'accueille me laisse à penser qu'il est peut-être déjà au courant. J'avais préparé l'annonce dans ma tête, je voulais lui dire qu'au grand jamais je ne minimiserai la peine et la douleur d'Ellen, que je ferai tout pour que les Hamilton n'aient pas à subir cette liberté conditionnelle, quitte à obliger Greg à ne pas rester à Londres. Je voulais lui dire que je comprends sa colère et celle de sa famille, que je ne la remets pas en cause, que je l'accepte. Mais je voulais aussi lui dire qu'il s'agit de mon grand frère, et que malgré l'horreur et la déception, je ne peux pas lui souhaiter de rester en prison alors qu'il a la possibilité de sortir, de devenir quelqu'un de meilleur. Je sais qu'en disant tout ça, Noah me comprendra. Lui qui a toujours été le plus à même à pardonner, à avancer loin de ce conflit qui a déjà trop bousillé nos vies.