Chapitre 6

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Daël Hamilton


            Je scrute mon portable, attendant une réponse. J'ai envoyé un message à Lior, il y a une heure, pour savoir à quelle heure il rentrait à l'appartement. J'ignore pourquoi je continue de fixer mon écran ainsi, je sais qu'il ne me répondra pas. Il est sorti en boîte avec ses potes de la fac et il ne surveille jamais son téléphone passé deux verres d'alcool. Je grommelle en balançant le mien sur la table de la cuisine. J'en ai marre d'avoir ce rôle et marre de le remplir à la perfection, celui du mec qui bosse comme un acharné pendant que son copain fait tous les bars de la capitale.

J'attrape ma tasse de thé et la porte à mes lèvres. C'est dégueulasse, je l'ai laissé refroidir trop longtemps. Je repose mon récipient et me retiens de ne pas tout envoyer valser. Balancer mes chiffres, mon ordinateur, ma tasse de thé froid, enfiler des fringues un peu mieux que mon vieux jogging et rejoindre Lior pour faire la fête. J'en ai envie, mais je ne le ferai pas. Lior est encore étudiant, il a tous ses soirs de libre car il n'a presque jamais cours avant 10 heures, alors que moi, je me lève à 6 heures chaque foutue journée de la semaine. On n'a pas le même train de vie. Je le savais, mais jour après jour je réalise à quel point c'est insupportable.  

Je cale mon dos dans le dossier de ma chaise. Je repense à Grace. Ça fait des mois qu'elle a quitté la ville. Je crois qu'elle est à New-York. Elle ne donne que très peu de nouvelles et Lior n'en demande pas non plus. Il dit qu'il veut la laisser tranquille, mais je pense qu'il a surtout trop peur qu'elle ne cherche pas à reprendre contact avec lui. Saleté de fierté Rosenbach, chacun sur son continent, à attendre un signe de l'autre.

Mon portable se met à vibrer et je sursaute. Trop heureux d'imaginer Lior me demander de venir le chercher maintenant.Je décroche sans même regarder le contact affiché sur l'écran.

— Allô ?

— Daël ?

Mauvaise pioche. Ce n'est pas la voix de Lior.

— Fallone ? Tout va bien ?

— Non.

Je ne sais pas pourquoi je lui ai posé la question, rien que le ton de sa voix ne laissait rien présager de bon.

— Où es-tu ? m'enquiers-je.

— Au bar.

— Ivre ?

Ma cousine rit, répondant implicitement à ma question de cette façon. Je retiens un soupir et me lève de ma chaise. Comme d'habitude, j'endosse le rôle. J'attrape les clefs de ma voiture et les fais tomber dans ma poche, continuant à l'attention de Fallone :

— Je viens te chercher. Toujours le même bar ?

— Bien sûr.

— Ne bouge pas, j'arrive dans dix minutes.

Je sors de l'appartement et referme derrière moi, rejoignant rapidement le parking de l'immeuble. J'enclenche le moteur de ma voiture et m'engage sur la route. Fallone a des coups de blues, certains soirs. Elle boit en pensant à son frère et s'imagine que ça la soulagera. Ce n'est pas comme si je ne pouvais pas comprendre, alors je ne dis rien. Je ne sais pas quoi lui dire non plus. Je me contente de la ramener chez moi, à l'appartement, puis elle dort sur le canapé pour que notre famille ne la voit pas dans cet état. Le lendemain, elle dit qu'elle va mieux. Sauf que souvent, la semaine suivante, c'est le même schéma qui se répète. Inlassablement. La même personne. Le même lieu. Le même trajet. Un comique de répétition, le rire en moins.

Je me gare devant le Blackbird, le bar en question. Fallone a au moins eu l'intelligence de ne pas se trouver un QG à l'autre bout de la ville. Je descends de la voiture et salue brièvement le videur. L'homme au crâne dégarni a fini par me connaître. Il me désigne ma cousine, assise sur une table au fond de la pièce. Je me dirige vers Fallone et viens m'asseoir sur la chaise d'à côté.

LOVERS - Personne d'autre que toi (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant