Prologue

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La fresque des désespoirs d'un poète qui confond ville et enfer, amour et archange, haine et Lucifer, saut et mort dans un dessin fuyant. 

Il faisait chaud, je voulus sauter, la fenêtre était ouverte. Ce n'était pas la première fois que l'idée me venait ; elle avait parfois dominé mes pensées, mais aujourd'hui c'était une sensation différente, comme si je savais que cette fois-ci c'était la bonne. Une lutte inégale avait lieu dans ma tête. J'attendais le message qui devait décider de ma vie, mais il ne se présentait pas. Je patientais, encore et encore. Je savais que j'étais à la croisée des chemins, mais je ne savais pas de quels chemins au juste ; en fait, pour être plus exact, je ne savais pas où j'étais même à ce moment. Quand je me retournais, que je regardais, que je disposais mes lunettes de telle façon à voir le mieux qui soit le lontain, je ne voyais rien ; ma tête s'embrasait, elle bataillait pour sa survie, mais elle perdait car deux idées l'asphyxiait : le contenu du message et l'impression d'avoir perdu l'archange de mes jours. En fait, je ne pouvais plus tenir, l'anxiété était trop forte. Désolé mon archange, j'ai sauté.

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel qu'importe !

Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !

Je ne suis pas mort ? Mais où suis-je alors ? Songeais-je ? Archange, où es-tu ? La terre est désolée ici, les cratères surplombent l'abîme et je n'entends plus de chant. Aide-moi archange, prends-moi dans tes bras, empêche-moi de voir plus longtemps ce spectacle infâme. Oblitère mes sombres pensées, rétablis l'ordre en moi si tu ne peux enfin me sortir d'ici ! Il s'exécuta. Je ne pensais plus qu'à lui, il occupait tout l'espace de mon âme désormais et il avait répondu à l'appel désespéré du mort auquel il avait juré la vie. Avec lui j'errai tout droit sans parler, je me contentais d'observer et de profiter de l'effet prophylactique de sa présence. J'entendis finalement au loin un bruit. Je regardai, je compris, là-bas, c'était Lucifer. Je vis sa peine, je vis la mienne. Sa face bataillait comme la mienne, je vis dans sa douleur la mienne, dans sa faiblesse la mienne, dans sa pureté la mienne, dans son désespoir le mien. Je courus pour l'enlacer, je voulus le baiser, mais soudain je me réveillai.

Le petit matin s'était déposé sur mon visage et les sirènes de police sonnaient lancinement. Tout cela me semblait si lointain et pourtant si proche. Le visage de Lucifer imprégnait maintenant mes pensées, il m'obsédait. Je l'ai vu sans le vouloir et je n'ai pas voulu ne plus le voir. Et maintenant, il est là, imprégné, ce songe lointain à vingt mille mètres de profondeur. J'avais eu la tête dans la lune pour voir aussi bas des cratères, mais qu'importe puisque je n'avais finalement pas sauté ou... l'avais-je fait ? Mais quel jour étions-nous au juste ? Oh ! oh ! oh ! deux jours sont passés ? maintenant je devrais recevoir mon message ? Toujours pas. Soit, autant partir, errer à nouveau, sortir de cette fournaise où je loge et aviser ensuite sur la marche à suivre concernant le cours des évènements. Je vois des piles de poubelles, des rats, des gitans, des sans-abris, des CRS, des jeunes avec des Molotov, des nids de poules, des chantiers et je cherche un Eden, un coin au soleil, près des oliviers où je peux un peu lire sans trop me soucier. Bizarre impression que celle de se sentir en Enfer après en être sorti. Enfin, bref.

Je lis, je repense, revois ce qui s'est passé et je suis perdu. Ce qui m'est arrivé n'a pas de sens. Il faut que je rentre chez moi. Mais où est le passage que j'ai pris pour venir déjà ? Le grillage est fermé. J'entends des jeunes avec des Molotov et des CRS. Le feu se propage, le jardin commence à brûler et je suis enfermé. Le spectacle est bassement tragique, mais il me plaît. Un homme dans l'air vient me sauver ; il me dit que tout va aller, mais je ne sais pas exactement ce qu'il veut dire par-là. Il me redépose, je peux de nouveau marcher. Je vaque. Puis je songe ? Où devais-je déjà aller ? Ah oui ! Nulle part ! Triomphale, glorieux ! Quelle situation épineuse ! Il ne faudrait tout de même pas que je ne fasse rien. Là, je monte des escaliers, par dépit, je sors d'un tunnel et là je vois un vieil ami ; il me fait une tape dans le dos, m'invite à manger et me saoule par-dessus le marché. On parle, on parle, il me dit que demain il organise une fête, car demain il Part. Bref, il est demain et j'y suis ; je l'avoue, je m'ennuie. Finalement on Part, on se sépare, je pars avec quelqu'un sur le chemin du retour. Il a des remarques pénétrantes sur la vie, cette chose étrange qui souvent m'intéressait. Puis, il Part et à nouveau j'Erre et je descends pour rentrer. Soudain, de nouveau ma pensée me tiraille, le visage de Lucifer se glisse dans mes yeux et je ne sais plus où aller ; je dois rejoindre mon archange.

Je m'exécute, j'y vais, je vais le voir, l'archange, celui que j'ai trop vu pour avoir vu. Je suis le long chemin sombre et par plusieurs fois j'hésite à rebrousser chemin, mais une Force plus forte en moi me dit d'Avancer. J'Avance. Je rentends les Molotov, les damnés, mais maintenant je vois des zombies, des drogués se déplaçant sans penser et je me dis qu'à bien y penser, je ne vaux pas plus qu'eux. J'Avance et je suis là où la rencontre est organisée. Je ne veux pas être surpris, je veux le toiser, le cerner. Je me dirige vers le lieu, je scrute le chemin pour ne pas être surpris et finalement il m'apparaît, il m'a vu avant moi, je ne pourrai jamais me le pardonner. Un être-ailé marchant dans la plus grande grâce et allégresse me fait front, grand sourire et heureux ; il était Libre. Je suis figé. Mais le Bruit de l'Histoire se fait plus fort, car enfin je rentends les Molotov brûler, les damnés danser, les poubelles s'empiler et les sirènes de police passer. On se décide à fuir, il me guide, mais c'est une impasse. J'Avance ; qu'il entre chez moi, ici nous sommes protégés. Enfin en sécurité, je peux souffler en toute félicité. Il m'assure que tout va aller, qu'il n'y a plus rien désormais à craindre, car il est là pour me bercer. Je lui conte tout et il me conte tout et il m'apporte le Bonheur. Quelle splendeur. Mais il Part et je n'ai plus personne, je n'ai plus rien. Il est cinq heures et je suis seul, face à ma terreur et j'entends de nouveau les sirènes sonner et les cris révoltés, je crois que la Guerre a commencé dans cet Enfer à la chaleur étouffante. Lucifer ! Arrête ce feu ! Sauve moi de cette chaleur immense ! de ce feu qui brûle mon âme ! délivre-moi enfin des chaînes que tu as toi-même créées ! pitié ! Je pense à lui avec toute ma Force, mais son image dans ma pensée devient de plus en clair. Malheur ! Serait-il possible ? Toi ? Lucifer, mon archange, vous ! même personne ! À l'aide, qu'on me jette de cette fenêtre ou qu'on me donne le Message. Il n'y a plus d'entre deux ; l'abîme ou la délivrance absolue, tout vient et arrive maintenant, mon sort bientôt sera scellé. Je voulais sauter, mais, pour l'instant, j'ai fermé la fenêtre.

EnferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant