L'Enfer lui-même a un air de Paradis quand on aime.
Il faisait chaud, je ne voulais pas sauter, la fenêtre était ouverte. C'était la première fois depuis longtemps que je ne voulais pas le faire et c'était à cause de Lui. J'avais conclu de le revoir, lui qui était tant fait pour ne pas être vu, mais revu. Lucifer, je m'étais à nouveau perdu dans tes abîmes. Je m'approchais et je voyais cette haute montagne qui t'hébergeait ; je la craignais, mais j'Avançais avec l'Espoir, ce petit-être inoffensif. Les minutes se firent heures tandis que je patientais ta venue, tenu à contempler ton domaine. Enfin tu vins, sans peine, sans honte et tu m'accompagnas. Tu me montras les damnés, les oubliés et la lave qui jamais ne cesse ici de brûler. J'ai rigolé d'eux avec toi, abandonnant la bonté à la lointaine terre.
Je t'écoutais et tu m'écoutais, comme si on l'avait toujours fait, car après tout, nous l'avions toujours fait. Mais c'était sur cette terre lointaine, bien loin désormais et aujourd'hui j'erre avec toi ici-bas sans me soucier car je t'aime, tu le sais. Ta condition m'éblouissait ; je pouvais te partager tous mes crimes et mes parjures sans risquer la sentence et tu sentais en ma présence que tous tes crimes et parjures étaient partagés. On s'amusa à tétaniser le lointain, à l'animer, nous qui étions si loins de tout et si proches de l'autre. Mais je commençais à me sentir mal, à flancher, à fatiguer et tu décidas de me guider loin du danger, de m'héberger près de cette montagne où s'échappe une colonne de fumée.
Ce n'était que le début. Âcre chatiment que de loger dans ton vaporeux logis et de te dire en plus « je te remercie ». Pourtant je devais le faire car le mal me rongeait. Il fallait que je l'expulse, que je le fasse partir ; il fallait que je le vomisse pour ne plus avoir à le subir et enfin t'être à tout jamais-là. Je le fis, accompagné de pleurs et tu me regardas avec tendresse. Je pleurai ma faiblesse et tu orchestras mon sauvetage. Ton regard se fit sensuel et tandis que je perdais le fil, je sentis ta langue s'éperonner sur mon cou. J'avais perdu le Temps, je savais juste que je devais. Et je fis. Tu fermas les yeux, heureux, et je fus heureux de le voir de mes yeux.
Je t'aime. Bien sûr que tu le sais, mais mon ton se fit plus pressant, plus angoissé, plus dramatique. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Et je t'embrassai, éperdu dans cette pensée et tu recevais sans parler. Moi aussi, tu dis, une fois, calmement et moi je continuais à te crier ma détresse, comme si j'allais te perdre, comme si je savais déjà la fin de ce trop plaisant intermède. Je partis souffler et quand je revins tu expulsas à ton tour le mal, il semblait que je te l'avais transmis. Une fois fait, tu me regardas avec encore plus de plaisir en nous sachant nous deux victimes de nous-mêmes.
On partit gagner la Montagne, atteindre son sommet pour s'abandonner avec Liberté. Mes mains, légères, semblaient voler et tu les tolérais dans ton antre sacrée, mais je continuais de t'embrasser, toujours plus, malgré la vapeur, la fumée qui s'échappait d'ici. Pourquoi avions-nous perdu tant de temps, archange ? Parce que c'était trop tôt il disait. Aujourd'hui c'était le Jour, c'était la Nuit, c'était. Je m'endormis comblé et je me réveillai aux anges ; je t'admirais alors que tu dormais, Prince des ténèbres. Enfin tu te réveillas et soudain, comme jeté d'un mauvais sort, tu achevas toute mauvaise idée et tu effaças tout. On quitta la montagne.
Et on erra ensemble, dans ton domaine, désormais mien. Tu avais souvent tort, mais on s'amusait malgré tout. On courrait comme ces enfants que jadis tu mésestimais. On se moquait des damnés avec l'intelligente insolence propre à de grands esprits épargnés par la morale. J'avais comme l'impression d'avoir retrouvé le lieu que tant on chérissait. Ce terrain de jeu à nous où personne ne fut épargné. Ton domaine, notre Éden. Ton saule, notre pôle. Ton cyprès, notre après.
Puis après cette longue journée qui suivit le Jour, tu partis, mais je me perdis une dernière fois dans tes bras avant que cela arrivât. S'il te plaît, assure-toi que je garde la fenêtre fermée.
