Chapitre [3] -Le plus singulier des restaurants

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Le restaurant s'ouvrait sur un vulgaire couloir en forme de U peuplé de caisses de bois, indigne d'une enseigne gastronomique. Après, une porte, la salle et une impression de malaise. Les murs respiraient une pénombre tenace. Mais je pouvais sentir au bout de mes doigts, les sillons creusés par des lombrics exotiques à la surface de la maçonnerie. Du plafond, d'une profondeur insondable, descendait un unique chandelier sur une seule table équipée d'un bouton.

Toujours en silence, le chef cuisinier franchit un rideau noir. La découverte de la salle m'avait impressionné, ce n'était rien par rapport à ce couloir hélas ! Devant moi, le passage continuait jusqu'aux viscères de la ville. On aurait dit une interminable cuve en cuivre destinée à stocker des fluides dangereux. Par endroit, l'acide avait attaqué les murs en des sortes d'escarres, d'où des yeux semblaient suivre notre lente procession. Ces ulcères pullulaient, du sol brillant au plafond cramoisi. Au fond, je devinais une double porte d'ascenseur. Cependant, Tryphon s'arrêta à mi-chemin pour me barrer la route, son bras m'invita à entrer dans une pièce. Son sourire n'avait pas bougé d'un pouce.

Après ce que je venais de découvrir du restaurant, cette salle à manger poussiéreuse me rassurait. Les clients l'avaient sans doute désertée depuis longtemps. Son mobilier la situait quelque part au XIXe siècle, mais les spécificités locales imprimaient des bizarreries. Un bois spongieux conférait une allure déformée aux parois de la pièce. Coagulée dans les rainures, la sève gardait en mémoire les services passés, transpirations toxiques suintantes de vices. Des bouteilles s'étendaient sur des étagères, tandis qu'à côté d'un évier bancal, une petite ouverture donnait sur la cave à vins. Le lave-vaisselle constituait l'équipement le plus récent. Dans un coin, une lourde table où reposait une feuille.

Tryphon me désigna l'étrange morceau de papier rosé et légèrement gondolé. Couchée avec une écriture aiguisée, mon contrat. Vous l'avez sans doute deviné docteure, le Chef était muet. C'était d'ailleurs l'objet de la première ligne. Puis étaient égrainées mes tâches. Plus je descendais, plus elles devenaient bizarres et les interdits, nombreux. Arrivé à la fin du document, là où devait reposer ma signature, Tryphon lâcha un stylo d'un autre temps sur la table. Je le pris au creux de la main. L'objet pesait si lourd, comme si un millier d'âmes se trouvaient piégées au sein de la cartouche. Les yeux du cuisinier me transperçaient tel un couteau dans une viande à peine saisie. Je ne pouvais plus reculer.

Sur le papier tremblant, je couchai mon nom.

Chez TryphonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant