Le mois suivant passa à toute vitesse. Je hantais le couloir, laissais de la sueur sur l'anatomie du restaurant, voguais entre le seuil de la salle et l'ascenseur dans un état nerveux proche de l'excitation. Je ne prenais plus à manger, préférant me goinfrer de sons embaumés. Mon dernier jour approchait. Cependant, toujours aucune trace de Gwen, hormis sa litanie éthérée, expulsée des profondeurs des cuisines.
Les mâchoires de métal dévoilaient l'ultime chariot dans une ambiance de messe, les cloches prêtes à entonner le « requiem de gnou, sauté aux bolets gyroscopiques ». En déposant les mets face aux gueules affamées, je remarquais qu'il y en avait une en trop.
Cela ne pouvait être une erreur. L'assiette, cette assiette devait m'être destinée. Je souris aux convives et la pris dans l'ancienne salle à manger, refuge visité par ma personne qu'en de rares occasions à présent. Je mis la main sur la cloche. À cet instant, je me sentais comme un prêtre prêt à célébrer une communion clandestine.
Je libérais la fumée. Giclée sur mon visage, dégazage d'humus épris de feuilles mortes. Une fois la vapeur dissipée, je déstructurais l'arrangement audacieux de Tryphon. Des émulsions aux couleurs de l'automne entouraient la pièce maîtresse, saupoudrée de morilles ciselées. La viande, coupée en des lamelles d'une volupté parfaite, évoquait un sashimi sorti de terre. Dans mes mains, les couverts tremblaient d'impatience. Mes pupilles se dilataient alors que j'emmenais la première bouchée. En la rapprochant, je remarquais la surface rugueuse du morceau, parsemée d'alvéoles grisâtres.
C'était de la langue...
Deux paumes épaisses se posèrent sur moi. Je relevai les yeux. Debout dans mon dos, Tryphon me dominait avec son sourire au zénith d'une nuit millénaire. Il prit la fourchette lovée au creux de ma main, l'assiette, puis jeta leur contenu dans la poubelle. Il disparut derrière le rideau de la salle.
Je n'en pouvais plus. Tant pis si Tryphon me découvrait. Frustré depuis trop longtemps, je courus vers l'extrémité du couloir, prêt à lécher les casseroles pour goûter à sa cuisine. Béant, l'ascenseur m'attendait. Bouton enfoncé, bruit de métal, portes rouillées fendues. Une force affamée m'attira hors de la machine. Enfin, je poussais le lourd battant.
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Chez Tryphon
Terror« Ne dites rien docteure... « Stade terminal », n'est-ce pas ? Rassurez-vous, cette fin de cycle est pour moi la plus savoureuse des agonies. Je ne regretterais jamais d'avoir répondu à la petite annonce, pour ce travail de saisonnier dans un restau...