En bouclant la ceinture au décollage de l'avion, l'appréhension au fond de moi devint plus grande, plus lourde. J'ignorais à quelle sauce j'allais être mangé. Mis à part quelques commentaires élogieux laissés par des internautes, aucune information sur l'établissement ne se trouvait sur la toile. Chez Tryphon semblait être un restaurant fantôme, un simple point sur la carte d'un pays halluciné. Toutefois, mes craintes s'effaçaient au deuxième verre de gin servi par l'hôtesse. Au troisième, je m'endormis.
Quand un steward me réveilla, l'avion nocturne entamait sa descente vers la capitale. Au hublot, la ville dominait ma vision. Avide d'horizons, la métropole s'étendait en un réseau neuronal jaunâtre, encastré dans des crevasses de béton et de silice.
Une fois mes bagages en ma possession, je hâlais un taxi aux abords de l'aéroport. Après un ultime lacet, le véhicule me déposa à l'adresse prévue. La logeuse, indiquée par Gwen lors de nos échanges par mails, m'attendait. La chambre située au dernier étage était trop confortable pour être spartiate, mais trop sommaire afin de s'y sentir à l'aise. Je ne tardais pas à aller me coucher, la signature de mon contrat avait lieu demain matin. Au fond du lit, qui ne semblait ne possédait aucune limite, le jet-lag me précipita dans une nuit sans Lune.
La rue pavée se déroulait comme une langue desséchée. L'enseigne endormie de Chez Tryphon régnait sur une porte noire, encastrée à la surface de briques couleur chair. Pas de poignée, ni de lucarne, une sonnette solitaire dénuée d'étiquette. Le nœud de ma cravate resserré, mon index effleura le bouton. Puissant, un son se perdit dans les entrailles du bâtiment en un gargarisme rauque et inquiétant.
Personne ne venait. Je regardai la montre. À cet instant précis, je faillis rebrousser chemin, en colère de m'être fait avoir. Quand je tournais les talons, les gonds grincèrent.
Obstruant l'orifice, une montagne drapée d'un uniforme de chef cuisinier. Sur la poche, l'inscription Tryphon était brodée. Au creux de ses énormes mains, ses couteaux devaient ressembler à de ridicules répliques pour dînette. Deux poings pouvaient se loger facilement dans ses trapèzes. Ces tissus imposants entouraient une gorge cachée par une épaisse barbe charbonneuse. Ses iris oblitéraient presque le blanc de ses yeux. Un large sourire équipé de canines pareilles à des icebergs, la lèvre inférieure fendue par un fin tatouage noir qui pénétrait à l'intérieur de sa bouche.
La main tendue vers lui, je déglutis une salutation inaudible. Tryphon la serra d'une étreinte aussi douce que ferme. Sans piper mot, son corps pivota, puis s'enfonça dans le bâtiment. Je le suivis.
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Chez Tryphon
Korku« Ne dites rien docteure... « Stade terminal », n'est-ce pas ? Rassurez-vous, cette fin de cycle est pour moi la plus savoureuse des agonies. Je ne regretterais jamais d'avoir répondu à la petite annonce, pour ce travail de saisonnier dans un restau...