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J'ai grandi dans un vide affectif que rien ne semblait combler. L'absence de ma mère, qu'on m'avait toujours présentée comme morte, me laissait seule avec des souvenirs fugaces : sa voix douce et le bruit réconfortant de la machine à coudre. Elle était couturière, une passion qu'elle m'avait transmise sans même que je le sache. Chaque fois que j'entendais une machine à coudre, c'était comme si elle était encore là avec moi, me chuchotant ses encouragements. Coudre était devenu mon refuge, un espace où je pouvais m'évader et oublier, ne serait-ce que pour un moment, la réalité de ma vie. Mon père, lui aussi, était absent. Non pas par la mort, mais par choix, ou peut-être par nécessité. Ses voyages interminables pour le travail l'éloignaient de moi, me laissant seule face à une belle-mère tyrannique. Devant lui, elle jouait la mère parfaite, attentionnée et pleine de bonnes intentions. Mais dès qu'il s'envolait pour une nouvelle destination, son masque tombait et le calvaire commençait. Ses tortures étaient subtiles mais cruelles. Elle savait où frapper pour faire mal. Heureusement, ma grand-mère maternelle, qui était aussi mon homonyme, et notre gouvernante Sira, étaient là pour adoucir ces moments difficiles. Mais même elles ne pouvaient complètement combler le vide laissé par l'absence de mes parents. C'est dans ce contexte que Pape Jules est entré dans ma vie, comme un baume sur une plaie béante.

En lui, je trouvais ce que je cherchais depuis toujours : de l'attention, du soutien, une oreille attentive et des bras réconfortants. Il semblait tout droit sorti de mes rêves. Il était parfait. Trop parfait. Mais je ne le voyais pas encore. J'étais aveuglée par un amour dévorant, un amour qui me consumait à tel point que je perdais pied. J'étais accro à lui, dépendante de ses sourires, de ses caresses, de ses mots rassurants. Chaque instant passé loin de lui semblait une éternité.

Un soir, alors que nous nous promenions tranquillement au centre-ville, une voiture noire s'arrêta brusquement devant nous. Mon cœur se serra. C'était la voiture de mon père. Sans un mot, il sortit du véhicule, s'approcha et, ignorant complètement Pape Jules, me somma de monter. La tension était palpable. Je jetai un coup d'œil à Pape Jules, qui restait stoïque, avant d'obéir à mon père. Le trajet se déroula dans un silence lourd, oppressant. Je ne savais pas ce qui m'attendait, mais je redoutais le pire. Puis, finalement, mon père brisa le silence.

— C'est qui lui ? Demanda-t-il, d'un ton calme, presque trop calme.

Surprise, je répondis instinctivement :

— Un ami.

Mais il n'était pas convaincu. Je sentais dans son regard qu'il n'était pas dupe.

— Mame Diariatou Cissé, qui est ce garçon ? Répéta-t-il, cette fois avec plus de fermeté.

Quand il utilisait mon nom complet, je savais que cela signifiait qu'il attendait la vérité. J'hésitai un instant, puis, résigné, je lui avouai :

— C'est mon petit ami, papa.
À ma grande surprise, il ne réagit pas comme je l'avais imaginé. Pas de colère, pas de cris. Seulement un silence pesant qui remplit à nouveau l'habitacle de la voiture jusqu'à notre arrivée à la maison. À peine la voiture arrêtée, je me précipitai pour sortir, soulagée d'échapper à cet interrogatoire silencieux. Mais juste avant que je ne puisse entrer dans la maison, il me retint.

— Dis à ce garçon que je veux le voir le plus vite possible. J'espère que c'est bien clair.
Puis, sans un mot de plus, il me laissa là, perplexe et inquiète. Je tenais énormément à Pape Jules, et je redoutais la réaction de mon père s'il le rencontrait. Est-ce qu'il l'accepterait ? Ou bien est- ce que cette relation, qui me semblait être tout ce dont j'avais besoin, allait voler en éclats sous la pression de la réalité familiale ?

*

La journée qui précédait la rencontre tant attendue avec Pape Jules s'étira comme une éternité. Mon cœur battait la chamade, partagé entre l'excitation et l'angoisse. Sira, notre gouvernante, me rassurait tant qu'elle le pouvait. Elle était un véritable ange dans ma vie, jouant le rôle de mère que je n'avais jamais eu. Elle avait toujours été là pour moi, et je lui étais profondément reconnaissante. Enfin, le soir arriva. Pour l'occasion, j'avais choisi une robe blanche élégante, ornée de perles, et j'avais pris soin de me maquiller avec délicatesse. J'enroulai un beau voile autour de ma tête, souhaitant faire bonne impression. Pape Jules fit son apparition à la maison, et, nerveuse, je le conduisis à l'intérieur pour le présenter à mon père et à ma belle-mère. Cette dernière, d'un air désintéressé, observait Pape avec un regard indifférent, ce qui m'arrangeait. Je savais qu'elle ne l'appréciait guère. La discussion avec mon père se déroula dans une atmosphère tendue, mais je m'efforçai de garder mon calme. Au bout d'un moment, il demanda à me laisser seule avec Pape. Mon cœur s'emballa, et je me retirai dans ma chambre, perplexe et anxieuse. Les minutes s'étiraient, et le silence pesant de la maison me pesait de plus en plus. Plus d'une heure s'écoula sans que je n'entende rien. Ne supportant plus cette attente, je pris quelques boissons dans le frigo et me dirigeai vers la pièce où ils se trouvaient, prétextant un service. Mais en entrant, mes oreilles furent frappées par les mots enflammés de mon père.

— Je veux que tu disparaisses de la vie de ma fille, sale vaurien ! vociféra-t-il, furieux.

Choquée et déconcertée, je laissai tomber le plateau de boissons, le bruit du verre brisé résonnant comme un cri dans le silence.

— Diariatou..., essaya de dire mon père, mais je l'interrompis, la colère montant en moi.

— Non, papa, j'en ai assez de toi ! Je suis fatiguée. Tu ne peux tout simplement pas accepter mon bonheur. Est-ce trop te demander ? J'aurais voulu avoir un père plus responsable, plus compréhensif, tout simplement différent de ce que tu es...

Avant que je puisse finir, il me frappa d'une gifle monumentale. La douleur explosa sur ma joue, et je restai figée, abasourdie. C'était la première fois qu'il me frappait. À ce moment-là, Pape Jules quitta la pièce, visiblement vexé. Déçue et en colère contre la réaction de mon père, je ne comprenais pas qu'il cherchait simplement à me protéger d'un chagrin d'amour. Il croyait que découvrir le vrai visage de Pape serait plus douloureux qu'une simple séparation. Une tension palpable s'installa à la maison. Mon père m'interdit de sortir sans chauffeur, tandis que Pape ne répondait plus à mes appels. Les jours passèrent, et je me retrouvai enfermée dans ma chambre, en larmes. J'étais devenue accro à lui, à sa présence, à son amour. L'idée qu'il ne reviendrait jamais me dévorait de l'intérieur.

Puis, contre toute attente, un jour, Pape m'appela, me demandant de le voir dans son appartement. Je n'hésitai pas, bien que je susse que je n'avais pas le droit de sortir. J'arrivai à convaincre Sira de m'aider à quitter la maison en cachette. Lorsqu'arrivai chez Pape Jules, je découvris

un appartement simple, situé dans le quartier Grand-Standing. Étrangement, il semblait indifférent à notre récente confrontation et ne voulait pas en parler. Nous passâmes la journée à flirter sur son lit, emportée par un désir brûlant. Oh, comme j'étais aveugle d'amour ! Soudain, il fit une proposition qui me prit au dépourvu.

— Je veux qu'on s'enfuie ensemble pour vivre pleinement notre amour, et ça dès ce soir, déclara-t-il, ses yeux brillants d'une intensité rare.

Je ressentis une hésitation, mais ses mots me convinrent peu à peu, et je lui donnai finalement mon accord. Avant de partir, je lui demandai la permission d'aller chercher quelques affaires personnelles chez moi. Il acquiesça, me rappelant qu'il m'attendrait derrière la maison. Je revis ces moments en les racontant, consciente qu'ils définissent parfaitement la jeune fille amoureuse et naïve que j'étais à l'époque.....

CICATRICES D'UNE EXISTENCE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant