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Les jours devenaient des semaines, et celles-ci se transformaient en mois. Le miel trop sucré était devenu une limonade au vinaigre. Tout avait changé en une fraction de seconde. Je ne le reconnaissais plus. Pape Jules était devenu une autre personne. Petit à petit, les regrets commencèrent à pointer le bout de leur nez, mais je m'étais promis de rester et de tout supporter, malgré tout. Je m'étais battue bec et ongles, contre vents et marées, et j'avais déjà sacrifié tant de choses jusque-là.

Que pouvais-je faire d'autre, sinon supporter et camoufler ? Oui, camoufler, pour ne pas entendre cette maudite expression : "Je t'avais prévenue."

Pape Jules adopta une froideur et une violence que je ne lui soupçonnais pas. Il pouvait passer des jours entiers sans mettre les pieds à la maison. Et lorsqu'il daignait se présenter, il me malmenait, me violait et me menaçait verbalement. Je vivais une terreur sans pareille. Je n'osais pas chercher de l'aide, ni me plaindre, par peur d'être jugée ou moquée.

Pour m'occuper, je repris mon petit travail de couturière, ayant emporté ma machine à coudre en quittant la maison familiale. Je fis aussi beaucoup de connaissances. J'avais des clientes solidaires, aimables et gentilles. Même après notre déménagement, elles continuaient à passer leurs commandes. Oui, nous avions fini par quitter la maison au bord de la mer pour un véritable trou à rats. Pape m'avait ordonné de partir et de le suivre, sans donner d'explication. Pourtant, à notre arrivée dans cette villa, il m'avait dit qu'elle appartenait à sa famille.

Que pouvais-je attendre d'un grand menteur et manipulateur comme lui ? Je me fis aussi de grandes amies, dont une en particulier, Fatou, que l'on appelait Feuz. Elle était devenue ma meilleure amie, ma confidente. Nous étions si fusionnelles. Feuz était drôle et téméraire, et nous partagions des moments de rire et de folie. J'aimais tellement sa compagnie que, un jour, je décidais de me confier à elle. Je n'en pouvais plus de tout garder pour moi. C'était trop lourd à porter. Je lui racontai alors tout, la voix tremblante d'émotion, les larmes aux yeux. Elle compatit à ma douleur et me consola comme une sœur.

Après cette confession, je me sentis plus légère. À un moment, je me mis à lui montrer des photos de ma famille et de mes amies à Thiès. Feuz était ravie de les voir. Je lui montrai également des photos de moi avec Pape Jules, prises avant notre fuite. À cet instant, son visage se figea. Une mine décomposée apparut sur son visage. Je ne comprenais pas sa réaction. Elle semblait choquée.

— Diary, cet homme est un salaud, un violeur, m'avoua-t-elle en fixant les photos avec insistance.

— Mais de quoi parles-tu, Feuz ? demandai-je, confuse.

C'est à cet instant qu'elle me révéla toutes les magouilles de Pape Jules Diop. Ou plutôt, devrais- je dire, de Salif Kane. Car, c'est ainsi qu'il s'appelait en réalité. Comme des fléchettes en plein cœur, j'encaissai la nouvelle, et très mal même. Je venais de réaliser que j'avais bousillé ma vie. Mon père avait eu tellement raison... Les sentiments qui m'animaient à cet instant étaient indescriptibles.
Je restai figée, incapable de prononcer le moindre mot. Le visage de Feuz était gravé de sincérité, mais son regard portait le poids d'une vérité que je n'étais pas prête à accepter.

— Un salaud, un violeur... répéta-t-elle, sa voix tremblante, mais assurée.

Mon cœur battait si fort que j'eus l'impression qu'il allait déchirer ma poitrine. Ce que je redoutais, au fond de moi, sans oser me l'avouer, venait de se révéler sous la forme la plus brutale possible. Tout ce que j'avais vécu, tout ce que j'avais subi... Comment n'avais-je pas vu plus tôt ? Les pièces du puzzle s'assemblaient lentement dans ma tête, chaque souvenir se teignant de la couleur d'un mensonge, d'une tromperie. Cet homme que j'avais aimé, suivi, que j'avais défendu contre tous... n'était qu'un monstre. Je me sentis suffoquer, mon souffle court, mes mains tremblantes. Les mots de Feuz résonnaient en moi comme un écho incessant, une douleur lancinante qui me perforait le cœur.

— Salif Kane ? murmurai-je enfin, comme si prononcer son véritable nom pouvait le rendre plus réel.

Feuz hocha la tête, ses yeux chargés d'empathie. Elle s'approcha de moi, posant une main rassurante sur mon bras.

— Je suis désolée, Diary. Je n'ai pas voulu te blesser, mais tu devais savoir. Cet homme a fait du mal à tellement de femmes ici à MBOUR. Et d'après les dernières nouvelles, il a été aperçu à THIES récemment. Je l'ai appris par une connaissance. Donc vous vous êtes surement rencontrés là-bas... Mais je n'ai jamais su que c'était lui, celui que tu appelais Pape Jules.

Mes jambes me lâchèrent, et je m'effondrai sur la chaise la plus proche. Une onde de terreur me parcourut. Que m'avait-il fait ? Que m'avait-il réellement volé, au-delà de ma dignité et de mon corps ?

— Je... Je l'ai laissé entrer dans ma vie, Feuz. J'ai sacrifié tout ce que j'avais pour lui. J'ai même trahi ma famille.

Ma voix se brisa. Les larmes que j'avais si longtemps contenues jaillirent sans retenue. C'était une douleur primitive, crue, comme si chaque larme arrachait une part de mon âme. Feuz s'accroupit devant moi, tenant mes mains dans les siennes. Ses yeux s'embuaient eux aussi, mais elle tenait bon.

— Diary, tu n'es pas responsable. Ses mots étaient fermes, mais réconfortants. Cet homme t'a manipulée, il t'a fait croire en des choses fausses. Ce n'est pas toi qui es à blâmer.

Je secouai la tête, refusant d'accepter cette consolation. La culpabilité me rongeait, aussi implacable qu'une marée noire. Chaque souvenir de nos moments passés ensemble me semblait souillé, déformé. Cet homme avait-il jamais été réel ? Tout n'avait-il été que mensonges ? Soudain, une vague de rage s'empara de moi. Une colère que je n'avais jamais ressentie auparavant, une chaleur brûlante qui éclipsa la peur. Comment avais-je pu rester aveugle si longtemps ? Comment avais-je pu permettre à cet homme de me détruire ainsi ?

— Partons maintenant Diary. Je ne vais surement pas te laisser dans cet endroit seule livrée à ce salaud, dit Feuz.

— Non Feuz, toi pars. Moi je ne peux pas partir pour le moment. J'ai des choses à régler avec lui.
Feuz se leva, les yeux brillants d'une énergie nouvelle.

— Je vais t'aider. Tu n'es plus seule, Diary.
Ses mots étaient comme un baume sur ma douleur, mais une autre vague de peur m'envahit. Si elle s'impliquait, elle aussi courrait un grand danger. Cet homme ne connaissait aucune limite, et s'il découvrait qu'elle m'aidait... que serait-elle prête à sacrifier pour moi ?

— Non, Feuz. Je secouai la tête, inquiète. C'est trop dangereux. Il pourrait s'en prendre à toi aussi. S'il-te-plait laisse-moi régler cette histoire avec lui. Il a beaucoup d'explications à me donner.

Mais Feuz était résolue. Elle prit mes mains dans les siennes et les serra avec force.

— Tu n'as plus à porter ce fardeau seule. Je suis avec toi. Nous allons nous en sortir ensemble.

Un tremblement parcourut mon corps, mais cette fois, ce n'était plus de peur. C'était l'espoir qui revenait, timidement, mais fermement enraciné. Pour la première fois depuis des mois, je me sentais moins seule moins faible.

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⏰ Dernière mise à jour : 6 days ago ⏰

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