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Des enturbannés et d'anciens esclaves emmenèrent Mani pour une incursion dans les bois. Quelle que fût la raison de cette incursion, comme avait traduit la petite Pivert en butant sur le mot, il n'était pas sûr d'aimer ce que ça signifiait.

Gul Babak marchait parmi eux. Sa présence tranquillisa Mani. Il se dit que c'était idiot, il ne connaissait pas cet homme plus qu'un autre. En quoi le fait qu'il ait sa couleur de peau lui donnait-il un côté rassurant ? Mani se tirailla le lobe de l'oreille. Avait-il accepté que ce fût du sang Guad-Dar qui coulait dans ses veines — un lieu dont il ignorait jusqu'à l'existence la veille encore ?

Plus ils s'éloignaient du camp, plus son malaise augmentait. Sa main transpirait, la lance se balançait à son bras comme un poids mort. Ils rejoignirent le lit du cours d'eau, Mani se figea. Ligoté au tronc d'un orme, un homme gémissait. Un tissu sale lui couvrait les traits. À côté de lui, son gardien, un Ēlik accroupi sur ses talons, se leva à l'approche du groupe. L'ancien esclave tatoué lui demanda :

– On a pu en tirer quelque chose ?

L'Ēlik fit un signe de dénégation.

Le Tatou baffa le visage voilé. L'homme gémit, son corps remua entravé par les cordes. L'étoffe se teinta de rouge.

– Parle imbécile ! Quand est-ce que tu vas rejoindre la caravane d'Inive ?

Le prisonnier laissa sa tête retomber sur sa poitrine sans rien dire. À travers ses petites dents pointues, Pivert traduisait l'échange mot pour mot à l'oreille de Mani.

– C'est ton choix, si tu ne me réponds pas, tu nous es d'aucune utilité. Ta vie se termine maintenant.

L'homme resta silencieux.

– Tu l'auras voulu.

Mani suivait la scène, l'estomac dans sa gorge.

– Cet Ēlik, déclara Ēl'Môn, n'appartient plus à notre peuple, il sert le roi d'Inive.

Les anciens esclaves lancèrent des cris furieux.

– On le trucide. Inutile de perdre du temps, décida le Tatou.

Se tournant vers Mani, il annonça :

– Ce sera ta tâche : tu exécutes cet homme. Nous saurons ainsi que tu es l'un des nôtres.

– Je... l'exécute. Comme ça ? demanda Mani pris de court.

Tous le fixaient. Les tamaris étaient parfaitement immobiles, pas un souffle ne les animait.

– Comme tu veux, rétorqua le Tatou brusquement. Tu as une lance. Tu sais t'en servir ?

Mani acquiesça. Il essaya de penser, mais sa tête était vide. Il n'avait jamais eu à envoyer qui que ce soit de l'autre côté du voile. Les Shangaïn vivaient en paix, le conseil des matriarches résolvait les discordes de la tribu. Un Shangaïn n'exécutait personne. On ramenait au sein du clan celui qui s'était égaré. Quelle que fût la faute, rien ne méritait la mort de l'un des leurs.

– C'est un Ēlik ? Comme vous ? demanda Mani d'une voix hésitante.

– Peu importe ! rétorqua le patriarche. Il sert Inive.

Mani déglutit.

– Si tu ne prouves pas qu'Inive est aussi ton ennemie, nous ne pourrons pas te faire confiance, déclara Thad, le rescapé.

Mani scruta l'homme qui les avait entraînés dans ce camp. Il ne vit que de la détermination sur ses épaisses lèvres. Sur les traits de Gul Babak, il ne put rien interpréter. Que ferait un Gwadar ? Mani eut un frisson. Qui s'en préoccupe ! Je suis shangaïn !

Shangaïn  2. les Filles du FleuveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant