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Gavra battit soudain des paupières, elle se saisit de la main de Téha :

– Les formes qu'Iris voulait m'enseigner...

Elle dut avaler sa salive, tant sa gorge était sèche.

– Je les vois. Elles sont plus...

Banou et Téha se penchaient sur elle, elle chercha ses mots. Comment décrire la danse de toutes ces particules de lumières aux contours et aux couleurs si diverses ?

– ... plus volumineuses.

Jaim fut soulagé d'entendre Gavra revenir à elle. Il poussa son outre vers les Shangaïn qui conféraient, préoccupées.

Gavra but de longues gorgées, ses muqueuses en feu. Elle se remémora avoir distingué parmi tant de lueurs, celle de l'Ibis Rose resplendir soudain pour ensuite disparaître.

– Iris a traversé le voile.

Banou acquiesça en silence.

Emporte mon nom, Iris. Tu m'as revendiquée, je...

– Je suis arrivée trop tard.

– Tu ne peux pas dire ça ! s'écria Téha. Iris était malade depuis longtemps.

Elle hésita en sentant encore le regard d'Ēl'Dhûsk dégouliner sur son corps.

– Tu es arrivée à temps pour nous deux, abrégea-t-elle.

– Comment nous as-tu retrouvées ? voulut savoir Banou.

Gavra se redressa, sa tête lui tournait, mais elle s'appuya sur Selma. Elle prit en compte le crâne ébouriffé de la fille du Tigre, l'horrible blessure sur la gorge de Banou.

– Le guide de vos khou, mais ce sont les Exilés...

– Un réseau de criminels, les informa Selma.

Gavra voyait des lumières, elle pouvait sentir sur sa langue le crépitement de la poussière de vie, du voile peut-être. Les ondes violettes du chant des envoûteuses se propageaient encore sous sa peau, sous les écailles du Cobra. Autour d'elle, Jaim, protecteur, préoccupé ; Banou et Téha dubitative ; Selma distante. Diyako, quelle puissance cet Aigle Blanc qui avait fendu le ciel ! Ça cognait sous son front, comme si les musiciens du clan du Tigre frappaient leurs percussions tous en même temps. Elle prit appui sur Jaim pour s'asseoir, elle fit un effort afin d'exprimer ce qu'elle percevait du monde des esprits :

– La Mère Première, c'est une danse où la poussière de lumière... Vos prières, des ondes violettes. L'étoile des envoûteuses... Nous devons être cinq.

Banou et Téha scrutaient son visage comme si elle divaguait.

– Où est Topaze ? Et Cendre ? Il manquait les deux bras de l'étoile ! Téha et Banou vous êtes les jambes... Mais le vide...

Elles pigent rien. Elles sont sonnées. Peut-être que la Mangouste... Elle s'accrocha au bras de Jaim. Elle lui expliqua dans sa langue :

– La poussière de vie... Comme le Cobra. La Mère Première, Mammu comme tu l'appelles...

– Tu délires, se lamenta Jaim en tentant de la faire s'allonger.

– Fichtre, écoute-moi ! s'énerva Gavra.

Pour calmer son agitation, Téha s'empressa de lui répondre :

– Topaze et Cendre ont été emmenées au marché d'Agaš par un homme chauve en robe, ignoble, défiguré par une marque rougeâtre sur le crâne.

Gavra planta ses ongles dans le bras de Jaim :

– Jaim, les autres filles ont été achetées à Agaš par un prêtre avec une tache de naissance hideuse sur le visage.

Shangaïn  2. les Filles du FleuveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant