Prologue

32 11 4
                                    

Aujourd'hui c'est le premier jour du solstice d'été, ce qui pour les habitants de Lenaris est génial puisque cela indique que les ports seront de nouveau l'élément central de la ville avec le commerce maritime. Désormais les échanges commerciaux entre nous et le port d'Oceanspire sont possibles et ce jusqu'à l'équinoxe d'automne. Mais en termes de température ou de paysages, cela ne change rien entre le solstice d'été ou d'hiver, dans cette île où il fait tout le temps nuit et le ciel est toujours couvert d'étoiles aux nuances de violet, rose et bleu foncé.

Toute l'île est couverte d'une lumière violette bleutée grâce au ciel, les maisons sont en pierre gravée dans notre langue elfique, grandes et amples où les portes sont de simples rideaux roses et les murs des colonnes qui séparent les pièces ressemblant à des temples plutôt qu'à des maisons. Des sorts empêchent de voir ce qui s'y passe à l'intérieur maintenant l'intimité de chaque famille protégée, tout en gardant un côté moderne. C'est une ville typique d'elfes, entourée de forêts, de mer mais magique. Tout le monde se connaît malgré le nombre élevé d'habitants et chacun vit de son propre commerce. Certains vendent du poisson, d'autres des produits alchimiques faits à partir de plantes, d'autres du textile et des vêtements légers adaptés à notre habitat. Nous sommes en paix ici, et chaque habitant pourrait le confirmer. Nous sommes heureux à Lenaris.

Mais le meilleur reste notre arbre de vie. C'est notre Mère, c'est elle le cœur de Lenaris, notre alfirin. Au centre de l'île, ses fleurs roses ont commencé à fleurir par milliers et des offrandes sont déjà posées devant : des fruits, des bouquets de fleurs, des épices, du poisson et d'autres ingrédients de valeur chez nous. C'est une tradition elfique de laisser des offrandes le premier jour du solstice d'été pour remercier tout ce que notre Mère nous apporte pendant l'année, et des pouvoirs qui nous ont été accordés pour équilibrer la nature et notre vie sur cette île. Où que l'on soit à Lenaris on peut l'admirer, comme si elle nous rappelait à chaque instant qu'il faut préserver la nature.

Les elfes ont des pouvoirs de création destinés à maintenir l'équilibre de la nature, si nous allons pêcher nous devons créer et déposer le même nombre de poissons dans l'eau en un temps imparti, si nous prenons deux litres d'eau du puits, il faudra la rendre à un moment ou un autre avant de pouvoir en reprendre. Malheureusement la création nous prend énormément d'énergie et c'est pour cela que nous limitons son utilisation, c'est un moyen de nous obliger à contrôler notre consommation.

Depuis que je suis enfant j'ai découvert qu'en plus de mon pouvoir de création, je pouvais guérir certaines blessures et en atténuer les plus graves et c'est ainsi que je suis devenue la guérisseuse de Lenaris. Étonnement je suis la seule dans tout Sarazan à posséder ce talent. Mais même si ce pouvoir de guérison me prend moins d'énergie que celui de la création, il reste néanmoins plus difficile à manier. Il est très volatile et si je ne me concentre pas il peut vite prendre l'effet opposé : et devenir mortel. J'ai pris plusieurs années pour le maîtriser et encore il n'est pas au point. D'abord je m'entrainais sur des petits animaux et lorsque je les tuais, je devais les créer à nouveau avant de pouvoir recommencer, ce qui consumait toute mon énergie. En grandissant, je me suis améliorée et ma vigueur est devenue assez élevée pour me permettre d'utiliser les deux pouvoirs au même temps.

D'autres habitants de Sarazan viennent pour mes traitements, pourtant le voyage du port d'Oceanspire jusqu'à l'île de Lenaris peut prendre plusieurs jours. Certains pensent que j'ai un pouvoir d'illusion et qu'en réalité je ne guéris personne, d'autres croient que je fais des miracles et me ramènent des cadavres de leur famille parfois presque en décomposition. Dans le dernier cas, je ne peux rien faire étant donné que je ne peux pas ressusciter. Cela doit venir de l'équilibre imposé par notre arbre de vie, une vie contre une autre. Lorsqu'un Fae meurt, un autre naît quelque part.

Cependant cet équilibre n'est lié qu'au continent de Sarazan, à Astranar selon la légende, les vampires sont libres de prendre la vie sans la rendre. Ils sont des animaux assoiffés et n'hésiteraient pas à tuer pour leur propre bonheur. Je n'en ai jamais vu un à part peints dans des tableaux, et je ne souhaite pas les voir, malgré ma curiosité. Ils ont été interdits de venir à Sarazan à cause de leur comportement sans scrupules qui perturbait notre équilibre et ont signé un traité il y a des années pour que chaque continent reste à distance l'un de l'autre.

Je jouais avec mes pieds nus dans l'herbe fraîche, assise près d'une rivière en profitant du calme de la forêt loin du village, c'était mon jour de repos, lorsqu'Elora vint m'appeler en panique. Elle qui est toujours présentable et calme, ses longs cheveux bleu foncé et ondulés étaient emmêlés, sa robe blanche était tâchée de sang et son visage était rouge comme un pavot.

- Nyala vient vite, maman est mourante et je ne sais pas quoi faire ! Nous avons besoin de toi !, me dit-elle en pleurant sa respiration saccadée.

Je ne perdis pas une seconde de plus et commença à courir vers ma maison en espérant arriver à temps. Les elfes sont dotés d'une agilité naturelle car nous avons été conçus pour chasser dans les forêts et être discrets dans les situations les plus dangereuses. Mais tout ce qui m'importait à ce moment était de savoir comment son état avait pu se dégrader aussi vite, ce matin encore tout allait bien.

En rentrant dans la maison à toute vitesse, je vis ma mère dans sa chambre allongée sur son lit en crachant du sang. J'aurais cru qu'elle avait perdu du poids en seulement quelques heures mais je ne comprenais pas comment c'était possible. Mon père était à ses côtés, inquiet et lui tenait les cheveux d'une main tandis que l'autre nettoyait ses lèvres avec un mouchoir. Je me précipite vers elle et commence à frotter mes mains l'une contre l'autre pour éviter tout contact froid contre sa peau. J'essayais de sentir son corps en posant mes mains dessus les yeux fermés, mais rien ne m'indiquait de quelle maladie il s'agissait alors que normalement elle se montre à moi. Son corps fonctionnait parfaitement. Je prenais mon stéthoscope qu'Elora m'avait apporté pour écouter son cœur et ses poumons. Mon père m'aida à tourner ma mère très fragile sur le côté pour que je puisse bien entendre mais encore une fois je n'entendais rien de différent ce qui me fit paniquer. Pour une fois je ne savais pas quoi faire, ni quel soin utiliser. Je ne savais pas comment dire à ma famille que je ne savais quoi faire. J'ai sauvé tant de personnes inconnues, et j'étais incapable d'aider ma propre mère.

Tremblante et les larmes aux yeux j'essaie de me concentrer pour faire en sorte que le sang se calme. Je pose mes mains sur son cœur et suit son rythme, imposant à son corps la tranquillité et le calme, je la faisais imaginer qu'elle était au bord de mer, les pieds dans l'eau, le bruit des vagues apaisant son esprit. J'ai également envoyé un antidouleur pour qu'elle souffre moins en espérant qu'au moins ça l'aidera. Ma mère avait arrêté de tousser et pendant une seconde j'ai eu une lueur d'espoir mais de courte durée. La seconde d'après elle a commencé à convulser, les yeux fermés comme si quelque chose la possédait. J'essayais tous les sorts médicinaux que je connaissais prise de panique. Le sang coulait partout maintenant, de son nez, de sa bouche, c'était une scène d'horreur. Son beau visage était couvert de rouge, sa petite robe de nuit n'absorbait même plus le liquide. Puis tout d'un coup, tout s'arrêta. Ma sœur criait de désespoir et se jeta sur ma mère pour essayer de lui faire un massage cardiaque. J'étais paralysée, je ne pouvais rien faire à part rester là devant ma mère morte, les larmes coulaient sur mes joues comme une fontaine. J'ai été incapable de la sauver... Mon père pleurait de toutes ses forces assis à côté du corps de ma mère, tandis qu'Elora continuait son massage cardiaque comme si elle pouvait la ramener à la vie.

Je murmurais doucement entre mes sanglots :

- Pardon maman...

Ce jour-là, je me suis promis à moi-même que je n'utiliserai plus jamais mon pouvoir de guérison. 

The Sound of BloodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant